Création, monde et royaume des cieux dans les évangiles

Le judéo-christianisme en reliant la torah juive aux évangiles chrétiens, lit les seconds avec les lunettes de la première.

Quand il lit : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre » (Genèse 1 :1) et « Dieu créa l’homme à son image : Il le créa à l’image de Dieu, homme et femme il le créa » (Genèse 1 :27), il fait automatiquement le lien direct avec le prologue de l’évangile de Jean : « Tout fut par lui et sans lui rien ne fut » (Jean 1 :3).

Ce qui confirme à ses yeux, ce que dit l’apôtre Paul quand il associe au nom de Dieu : « le créateur de toutes choses » (Éphésiens 3 :9) ou ce que reprend Jésus quand il dit : « au commencement de la création, dieu fit l’homme et la femme » (Marc 10 :6).

Pourtant une toute autre herméneutique de ces textes est tout à fait possible si un tant soit peu on est capable de renouveler son intelligence spirituelle comme l’exhortait Paul.

En effet, dans l’évangile de Jean, le Christ déclare : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique » (Jean 3 :16) et pourtant cette école johannique, comme l’appellent les exégètes, enseigne en même temps : « N’aimez pas le monde, ni ce qui est dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est pas en lui » (I Jean 2 :15).

Si l’on pense que le Christ parle du même monde que celui de l’auteur de l’épître dite de Jean, la contradiction demeure inconciliable, car qui oserait penser que Dieu puisse aimer ce qu’il nous interdit d’aimer et inversement, de ne pas aimer ce qu’il aime ? Comment expliquer également que celui qui aime le monde n’a pas l’amour de Dieu, alors que précisément l’amour de Dieu, c’est d’aimer le monde ?

Le texte de l’évangile de Jean se poursuit et précise : « Dieu, en effet, n’a pas envoyé son fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui » (Jean 3 :17).

Mais cette déclaration est encore contredite un plus loin : « Maintenant a lieu le jugement de ce monde » (Jean 12 :31). Jugement que l’auteur de l’épître dite de Pierre annonce également : « les cieux et la terre actuel sont gardés en réserve pour le feu, en vue du jour du jugement » (II Pierre 3 :7).

Pareillement, si le Christ est venu pour sauver le monde et non pour le juger, pourquoi les cieux et la terre sont-il déjà destinés à être détruits ?
Ou bien encore, si ce monde est condamné à disparaître, Dieu aurait un amour bien étrange envers sa création ! Si la torah admet l’idée que son dieu puise se repentir de sa création et la détruire, Paul proclame à l’inverse qu’en Dieu « tout subsiste » (Colossiens 1 :17). Ces contradictions que nous venons de constater trahissent le double langage de la prédication évangélique quand elle est destiné au grand public.

En fait, l’école johannique tout comme l’auteur de l’épître dite de Pierre, ne parlent pas d’une même création, d’un même monde, de la même terre ou des mêmes cieux ; mais de deux créations, de deux mondes, de deux terres et de deux cieux différents, l’un divin, l’autre malin.
L’auteur de l’épître dite de Pierre le suggère sans équivoque, il précise bien « les cieux et la terre actuels » (II Pierre 3 :7) car il annonce qu’il existera un ciel et une terre à venir : « nous attendons, selon sa promesse, de nouveaux cieux et une nouvelle terre où la justice habitera » (II Pierre 3 :13).
Si l’auteur de l’épître dite de Pierre présente à ses lecteurs la distinction des deux créations sous l’aspect d’une terre présente et d’une terre à venir, l’école johannique annonce la même chose mais sous un angle différent. Elle le présente à travers l’idée d’un monde sous l’autorité de Dieu et d’un monde sous l’autorité du diable, comme cette déclaration l’indique : « maintenant le prince de ce monde sera jeté dehors ». (Jean 12 :31).
Jésus faisait de même, un même mot peut désigner chez lui deux universalités différentes. Lui aussi utilise le mot monde pour désigner deux univers différents comme cela se voit dans cette citation : « ni en ce monde ni dans le monde à venir » (Matthieu 12 :32).

C’est bien ce « monde à venir » (Hébreux 2 :5) que l’Évangile nous appelle à espérer, ce « royaume de Dieu » ou « des cieux » que prêchait le Christ. Ce qui fera dira à Paul : « Si c’est dans cette vie seulement que nous espérons en Christ, nous sommes les plus malheureux des hommes » (I Corinthiens 15 :19).
Maintenant relisons les versets, qui apparaissent contradictoires. Si nous conservons une même universalité aux mots, la contradiction des énoncés demeurent inconciliables comme nous l’avons vu. Ces contradictions disparaissent si au contraire, nous admettons qu’un même mot peut désigner deux universalités différentes.
Ainsi, le monde que Dieu aime et qu’il veut sauver en envoyant le Christ dans la citation de Jean 3 :16, ce n’est pas notre terre et notre ciel, mais son monde, c’est-à-dire ceux qui sont de lui, comme le révèle l’évangéliste Jean un peu plus loin en rapportant une prière du Christ : « Je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que tu m’as donnés, parce qu’ils sont de toi » (Jean 17 :9).

Et le monde qu’on nous exhorte à ne pas aimer dans I Jean 2 :15, c’est précisément cette terre et ce ciel diabolique qui n’est pas de Dieu. Monde autant étranger à Dieu que Dieu est étranger à ce monde. Le Dieu de la véritable prédication évangélique ne peut pas être le créateur de notre bas monde et ce monde ne peut donc pas lui appartenir. Pour preuve évidente, le « royaume des cieux » annoncé par le Christ, n’est pas, comme il le dit lui-même, « de cet univers » (Jean 18 :36).

Il est par conséquent complètement illogique de penser que le Christ puisse dire une telle chose, si le monde qu’il désigne est le même que celui auquel pense Paul, quand il écrit : « il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui viennent toutes choses, et pour qui nous sommes, et un seul seigneur, Jésus-Christ, par qui sont toutes choses et par qui nous sommes » (I Corinthiens 8 :6).

Le monde dont parle Paul, n’est pas le monde terrestre contrairement aux apparences, mais le monde divin. Car dans le cas contraire, si la prédication de Paul appartient à la même veine que celle de l’évangile, tout appartiendrait au Christ de droit et de fait. Ce qui n’est pas le cas de toute évidence, comme l’illustre parfaitement le récit de la tentation du Christ : « Le diable le transporta encore sur une montagne très haute, lui montra tous les royaumes du monde et leur gloire et lui dit : Je te donnerai tout cela, si tu te prosternes et m’adores » (Matthieu 4 :8-9). En effet, comment le diable pourrait-il tenter de duper le Christ en lui offrant ce qu’il ne possède pas ?
Or précisément dans le récit de la tentation du Christ, la séduction diabolique ne joue pas sur lui. Il n’abandonne pas l’amour qu’il a pour le « royaume des cieux » au profit de la possession des royaumes du monde. Le Christ qui est « l’image du Dieu invisible » (Colossiens 1: 15), manifeste au contraire par ce biais-là un tout autre dieu que le dieu auteur et régenteur de notre bas monde.
L’évangéliste de Marc dira du Christ qu’il « est venu non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie » (Marc 10 :45).
Le Dieu christique est un anti-dieu. À l’opposé du dieu de la torah qui fait mourir, c’est le Christ qui meurt. C’est un Dieu dépouillé de tous les oripeaux du dieu traditionnel ; il ne trône pas en majesté ni ne tient dans ses mains les foudres. C’est un humble, il ne possède rien, ne régente rien. Le Dieu évangélique n’a ni avoir, ni rien à voir avec le monde.
Le dieu de ce monde n’est rien d’autre que le diable que Jean l’évangéliste ou Paul appellent pudiquement le « prince » (voir par exemple Jean 16 :11 et Éphésiens 2 :2). C’est pourquoi le Christ déclare: « tout ce qui est né de Dieu triomphe du monde » (I Jean 5 :4). Ce qui veut bien dire, que le monde en question n’est pas né de Dieu ou autrement dit, n’a pas été créé par Dieu.

Quand le Christ déclare encore : « j’attirerai tout à moi » (Jean 12 :32). Ce tout que le Christ attire à lui, concerne uniquement les hommes, et tous sans exception, et non tout le restant, c’est-à-dire le monde matériel dans lequel les hommes tournent en bourrique. Ce tout là, on sait avec l’auteur de l’épître dite de Pierre ce qu’il va en advenir : « les éléments embrasés se dissoudront, et la terre, avec ce qu’elle renferme, sera consumée » (II Pierre 3 :10).
Une parole du Christ dans l’évangile dit de Matthieu confirme la même restriction au mot tout et prédit la même destinée au monde, quand il prêche « Tout plant que n’a pas planté mon Père céleste sera arraché » (Matthieu 15 :13). En clair, il ne tient pas Dieu pour le créateur de toutes choses et considère que la création du monde n’est pas de Dieu puisque celle-ci sera arrachée et brulée (voir Matthieu 13 :30).
Dans la Parabole dite de l’ivraie (Matthieu 13 :24-30), il précise même qui est l’auteur de cette création qui sera arrachée et brulée, il dit que c’est un « ennemi » sans autre précision, mais nul ne peut ignorer la proximité de sens avec Satan ou le diable. C’est lui qui est sans nul doute désigné ainsi. Paul prêche la même chose, quand il écrit aux galates : « Il [Le Père] nous a délivrés du pouvoir des ténèbres et nous a transportés dans le royaume de son Fils bien aimé » (Colossiens 1 :13).
Autrement dit, Dieu veut « nous arracher à ce monde du mal » (Galates 1 :3-4) pour nous transporter dans celui annoncé par le Christ. S’agit-il d’un transport physique ou métaphysique, c’est-à-dire d’un lieu à un autre ou d’une idée à une autre ? À moins que se ne soit les deux, mais passons ceci est affaire d’appréciation personnelle.

En tous cas, Paul reprend le même type d’argumentation quand il parle du monde de Dieu ; il dit aux corinthiens : « nous avons dans les cieux une maison éternelle bâtie par Dieu » (II Corinthiens 5 :1), ce qui n’est évidement pas le cas de la construction terrestre, elle n’est pas plus de la main de Dieu qu’elle n’est éternelle. « le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point » (Marc 13 :31) se plaisait à dire le Christ…