Le rite du melioramentum (1ère partie)

Confession chrétienne sans église parce que sans vain culte à célébrer à un Dieu qui n’en demandait point, le catharisme médiéval était un évangélisme premier. Il était une façon de vivre, c’est-à-dire une manière de cheminer ici-bas et de cheminer en communauté fraternelle.
Parce que l’Église cathare était communauté humaine, elle ne connaissait que des rites qui faisaient de chaque individu un membre d’un corps social : l’Église.

Parmi ces rites, le melioramentum était prépondérant dans l’Église cathare. Il était le rite qui faisait d’un homme ou d’une femme, un membre à part entière de l’Église cathare. Les inquisiteurs d’ailleurs l’avaient parfaitement repéré. Un prévenu qui avouait ou qui était convaincu de s’être prosterné trois fois devant un perfectus hereticus (parfait hérétique), devenait ipso facto un hérétique avéré, plus exactement un credens hereticorum (croyant des hérétiques). Il était manifeste que cet individu faisait partie prenante de l’hérésie. C’est pourquoi, vers la fin, les croyants et parfaits évitaient que le melioramentum ne se fasse en présence de témoin.
Les deux fragments de rituels cathares1 qui nous sont parvenus mentionnent à plusieurs reprises le melioramentum, mais n’en donnent pas une description. Ils ne nous disent pas en quoi il consistait exactement. Pour en retrouver le contenu et le déroulement précis, il nous faut avoir recours aux procès-verbaux de l’inquisition qui s’attachaient souvent à décrire ce rite à cause de la charge importante qu’il signifiait pour l’inculpé.

Cependant, la description de ce rite par les notaires de l’inquisition était bien souvent formalisée et simplifiée de manière schématique et routinière. De sorte qu’il est malaisé d’avoir une idée précise de ce rite, si l’on s’en tient à une seule description ou mention, même s’ils nous en délivrent les grandes lignes. Seul le croisement des sources nous permet de reconstituer ce rite et de nous approcher de ce qu’il pouvait être. C’est ce que nous nous attacherons à faire ici. Ensuite nous situerons la pratique du melioramentum dans l’ecclésiologie cathare.

Les mentions les moins prolixes du melioramentum, dans les registres de l’inquisition, se résument en un seul mot : “adoravit” (il a adoré), sans apporter d’autres précisions. Mais les plus prolixes donnent une description plus ou moins détaillée, et ce, dans un même registre.
Par exemple, dans l’un des registres les plus anciens que nous possédions, celui des pénitences de Pierre Cellan, sanctionnant les aveux recueillis entre 1241 et 1242, la plupart des mentions du melioramentum sont de ce type : “R. Durant a vu des hérétiques et il a entendu leurs prédications et les a adorés et a mangé avec eux”2Mais le résumé des faits qui justifie la pénitence de Bertrand de Lamothe, indique : “Il a adoré les hérétiques trois fois en disant “Bénissez” et en fléchissant trois fois les genoux”3.
À la lecture de ce seul témoignage, nous pourrions en déduire que le rite du melioramentum, consistait en trois génuflexions accompagnées de trois demandes de bénédictions sous la simple formule “Bénissez”. Disons tout de suite que le melioramentum (melhorament en occitan) ne se réduisait pas à cette très brève description. Mais avant de voir ce qui peut compléter cette première description, il nous appartient d’en tirer les premières conclusions.
Tout d’abord, nous pouvons en déduire que s’il y avait trois fléchissements des genoux c’est que cela impliquait également trois relèvements. Le croyant qui se mettait à genoux devant les chrétiens cathares et qui demandait la bénédiction de ces derniers, se remettait debout et recommençait l’opération deux autres fois, l’une à la suite de l’autre.

Cependant, le texte est trop imprécis pour apprécier à quel moment était prononcée la demande de bénédiction. Est-ce que c’était avant, après ou pendant que l’on s’agenouillait ?

Mais avant de passer à la recherche d’autres précisions concernant le rite du melioramentum, voyons si d’autres procès-verbaux de l’inquisition confirment la première description que nous venons de voir.

Sur les trois agenouillements, la déposition particulièrement autorisée de Guillaume Carrière, puisqu’il s’agissait d’un parfait repenti, nous le confirme sans aucun doute possible : “je les adorai en m’agenouillant trois fois devant eux, disant à chaque génuflexion “Bénissez”4. La déposition de Jacques Garsend nous le rapporte aussi et d’une manière tout aussi autorisée puisqu’il s’agit de l’instruction des parfaits eux-mêmes : “ces parfaits m’apprirent que je devais m’agenouiller trois fois”5La déposition de Rixende de Miraval nous le confirme encore et nous apporte une information complémentaire : “je les adorai […] en fléchissant trois fois les genoux et en disant “Bénissez” et les autres mots en usage parmi eux”6.
Ce témoignage nous apprend que le rite ne se réduisait pas à la seule prononciation du “Bénissez”, comme pouvaient le laisser entendre les autres mentions. Il y avait d’autres paroles dites ou échangées, la déposition de Péronne de la Claustre nous indique la formulation de ce “Bénissez” : “j’ai adoré ces parfaits trois fois les genoux fléchis et les mains jointes, en disant : “Bénissez, bons hommes, priez pour nous”7.
Nous verrons par la suite que cette formulation du “Benedicite” est encore imprécise, même si elle est globalement juste. Comme nous l’avons dit, le notaire résume plus qu’il ne cherche à décrire fidèlement. En tous cas, il mentionne un fait souvent tu par les autres : le jointement des mains. C’est là une précision importante, les croyants faisaient le melioramentum en tenant leurs mains jointes. C’est là l’attitude bien connue de l’orant (celui qui prie) : mains apposées l’une contre l’autre verticalement, devant la poitrine. L’agenouillement et les mains jointes, indiquent avec force l’état d’esprit de l’officiant, il priait. Il s’adressait au Dieu Bon à travers l’homme qui portait son Esprit de Bonté en lui. Et cette Bonté invoquée, c’était la bénédiction réclamée par le croyant et donnée par les bons chrétiens, c’est-à-dire ceux qui étaient parachevés dans la foi au Christ, ceux qui étaient parfaits sur la voie du Christ. C’était des chrétiens accomplis. Ces derniers vivaient selon les impératifs de l’agapè évangélique, c’est-à-dire ce qui correspond dans notre langue à la dilection, la bienveillance ou l’amour. Ces impératifs de l’agapè, ils les nommaient “règle de justice et de vérité”.
Mais fermons cette parenthèse et poursuivons sur la gestuelle avant de nous attacher aux paroles prononcées.

La déposition de Bernard Escoulan, nous indique un nouvel élément gestuel qui peut sembler contradictoire avec le fait énoncé plus haut : “[nous] avons adorés les genoux fléchis et les paumes mises à terre, en disant “Bénissez”8. Cette mise à terre des mains, doit-être explicitée, et c’est Brune Pourcel qui nous le dit : “Alazais m’apprit la manière d’adorer les hérétiques, en s’agenouillant et en mettant les mains jusqu’à terre, et en inclinant la tête vers les mains”9. Le livre des sentences de l’inquisiteur Bernard Gui, nous le confirme parfaitement : “il adora lesdits hérétiques selon leur usage, c’est-à-dire en s’agenouillant par trois fois, mains jointes, en s’inclinant jusqu’à terre et en réclamant leur bénédiction”10.
Cette description est précieuse et nous éclaire grandement. Elle nous donne à comprendre que l’on s’agenouillait les mains jointes et qu’ensuite on se prosternait jusqu’au sol. Le melioramentum n’était donc pas qu’un simple agenouillement, mais qu’il était aussi une véritable prosternation. La sentence de Guillaume Durand nous le dit encore : “il l’adora en s’inclinant devant lui trois fois profondément, jusqu’à terre et en disant à chaque fois “Bénissez”11.

Cependant nous ne sommes toujours pas renseignés sur l’enchainement chronologique de la gestuelle du melioramentum. De toutes les dépositions à notre connaissance, seule celle d’Arnaud Sicre, nous l’indique. En effet, il eut la bonne idée de raconter à l’inquisiteur Jacques Fournier, comment Pierre Maury, croyant et agent dévoué du parfait Pierre Belibaste, lui enseigna à faire le melioramentum. Écoutons-le : “m’expliquant comment doit se faire le melioramentum, il me dit que quand nous serions devant le monsieur de Morella (l’hérétique), il y aurait un banc entre le monsieur et nous, qu’il se tiendrait debout d’un côté du banc et nous de l’autre, et qu’alors l’un de nous dirait en s’inclinant : “Bénissez-nous” au monsieur et fléchirait, ce disant, les genoux près du banc devant l’hérétique ; que l’hérétique répondrait : “Le Seigneur vous bénisse”, et qu’alors celui qui avait ainsi fléchi les genoux frapperait le banc avec ses mains jointes, et après s’être penché sur ses mains les baiserait, et qu’il ferait cela trois fois”12.

Nous verrons plus loin la question du banc, mais remarquons tout d’abord que la prosternation se faisait après avoir reçu la bénédiction du parfait : on inclinait la tête sur les mains, ici placées sur un banc, mais elles étaient généralement placées au sol comme nous l’avons vu. Ensuite, nous pouvons constater que l’agenouillement était précédé d’une inclinaison du buste, et nous verrons par la suite, que cette inclinaison du buste se faisait mains jointes et front penché au sol. Par contre, il ne faut pas se laisser abuser par le fait que la demande de bénédiction s’inscrit dans le mouvement de l’inclinaison et de l’agenouillement. C’est sans doute une maladresse du notaire, empêtré à condenser en une phrase un rituel complexe à décrire, car la déposition de Pierre Maury lui-même contredit cette présentation des faits. Voici ce qu’il dit quand il rapporte à l’inquisiteur Jacques Forunier son premier melioramentum fait au parfait Pierre Autier : “Il me dit de m’agenouiller devant lui, qui était debout devant moi, et de lui dire, les genoux fléchis : Bon chrétien, la bénédiction de Dieu et la votre” et ceci dit, de mettre les deux mains sur le sol”13.

Retenons des témoignages d’Arnaud Sicre et de Pierre Maury, le fait que l’on se prosternait après avoir prononcé, à genoux, la demande de bénédiction, et que cette prosternation était faite après que le bon chrétien avait donné sa bénédiction. Enfin, retenons également de la déposition d’Arnaud Sicre que l’on inclinait le buste, en révérence, avant de s’agenouiller. Mais justement, étudions maintenant cette gestuelle.

Il est difficile d’arriver à une interprétation sûre des dépositions quand il est question d’inclinaison ou de révérence précédant l’agenouillement, car nous avons vu qu’il ne fallait pas trop se fier à la chronologie donnée par les notaires. En effet, il peut tout aussi bien s’agir de l’inclinaison, que de la prosternation. Les notaires les décrivent indifféremment avec les mêmes mots : incliner ou révérence.
Par exemple, que penser du témoignage de Blanche de Rodes : “je leur fis la révérence et les adorai à genoux trois fois devant eux”14 ou de ce que décrit la sentence de Bonne Doumergue : “s’inclinant trois fois sur un banc, devant lui, mains jointes, en disant chaque fois Bénissez”15 ?

Nous avons tout lieu de penser à un mélange complet, on a probablement assimilé, sans distinction aucune, les gestuelles de la révérence, précédant l’agenouillement, et la prosternation proprement dite. Les notaires se sont vraisemblablement contentés d’une évocation du rite par le moyen d’une phrase concise et non d’une description précise, à moins qu’il ne s’agisse seulement de la prosternation.

Par contre, nous pouvons attester que la révérence faisait partie de la gestuelle liturgique cathare. Elle apparaît dans les deux rituels qui nous sont parvenus. Elle est requise par exemple quand un croyant se présente devant le parfait qui officie le rite de son admission, à recevoir le droit de prier le Notre Père avec les chrétiens : “le croyant devra dire en faisant une révérence (avec génuflexion) devant l’Ordonné : “Bénissez-nous, pardonnez-nous, amen”, ensuite le rituel se poursuit si le croyant doit recevoir le baptême d’imposition des mains : “ils doivent faire trois révérences devant l’Ordonné”16.

Par ailleurs cette révérence est attestée dans les dépositions tardives comme le mode de salutation et d’accueil des chrétiens. La sentence d’Austorgue Hugou par exemple, nous dit que quand elle accueillit le parfait Pierre Autier chez-elle : “elle le salua en disant : “Seigneur soyez le bienvenu”, en inclinant la tête vers lui, mains jointes”17. Il en est de même pour la sentence de Pierre Raimond Domergue qui rapporte une entrevue avec le même parfait : “Il salua cet hérétique selon l’usage hérétique, à savoir mains jointes, tête inclinée, en disant “Bénissez”, et quand les croyants présents quittèrent le parfait Pierre Autier : “ils le saluèrent selon l’usage hérétique, à savoir en posant les mains sur ses bras, en penchant la tête vers la droite et vers la gauche de cet hérétique et en disant par trois fois “Bénissez”18.
La déposition de Pierre Tinhac précise le mode de cet étrange melioramentum : “en faisant la révérence en nous inclinant vers eux et en baisant les épaules de chacun”19. Mais c’est Pierre Maury qui nous l’explique le mieux “J’inclinai deux fois la tête sur ses épaules, une fois sur l’une, une fois sur l’autre et je le baisai une fois sur la bouche. Et en m’inclinant sur ses épaules, je disais à chaque fois : “Bénissez” quand je le baisai”20.

Cette curieuse salutation, n’est en réalité qu’une version simplifiée du melioramentum et simplifié pour des raisons pratiques, liées à la nécessaire clandestinité du catharisme, car cet usage n’est attesté que dans les témoignages les plus tardifs.
Apparemment, on chercha à faire confondre le melioramentum avec une banale salutation. Pour un regard non avisé, il n’était plus vraiment possible d’identifier ces embrassades avec les prosternations bien connues du melioramentum.

À la place donc des démonstratives et compromettantes prosternations, on se contentait de la simple révérence, les mains jointes, qui précédait l’agenouillement du melioramentum. Révérence réduite parfois à la seule inclinaison de la tête, et non du buste tout entier. Par contre, on conservait les formulations rituelles.

Comprenons bien, que les croyants ne pouvaient pas ne rien faire, quand ils entraient en contact avec un bon chrétien. S’il n’était pas possible de faire leur melioramentum suivi du baiser de paix21, comme il était d’usage de le faire auparavant, les croyants ne pouvaient pas non plus les saluer comme on saluerait un ami ou un parent.
Les bons chrétiens n’étaient pas des personnes profanes mais des personnes sacrées. Ils étaient des saints hommes, comme le confessaient leurs croyants à l’inquisition. Toutes relations avec les bons chrétiens ou bonnes chrétiennes ne pouvaient qu’être religieuses, et ces relations étaient conditionnées par les rites et règles de l’Église cathare. Par contre, c’est à l’intérieur de la maison, à l’abri des indiscrétions, et dans l’intimité, que les croyants pouvaient faire leur melioramentun dans toute son intégralité.

Bref, en foi de tout ceci, nous devons tenir pour assuré qu’une révérence, c’est-à-dire une inclinaison du buste, précédait l’agenouillement du melioramentum. Révérence faite avec la tête inclinée et les mains jointes devant la poitrine.

Il nous reste encore à expliquer la raison du melioramentum avec le moyen d’un banc. Comme nous pouvons l’expérimenter en s’y essayant soi-même, l’enchainement de la révérence, de l’agenouillement et de la prosternation est une gymnastique qui exige une certaine capacité physique. Un jeune ou un adulte dans la force de l’âge peut le faire sans problème, mais pour une personne plus âgée, surtout celles plus avancés dans l’âge qui sont irrémédiablement confrontés aux problèmes de l’arthrose, cela commence par poser des problèmes. Dans ce cas, comment ces personnes pouvaient-elles faire encore leur melioramentum ?
Le melioramentum avec un banc a certainement été la réponse à ce problème. En effet, l’aide d’un banc permet de faire une prosternation moins profonde, mais surtout il pouvait servir d’appui pour se mettre à genoux ou pour se relever. Il devait faciliter bien la chose et contribuer à éviter une perte d’équilibre.
Précisément, une déposition nous prouve que ce risque de déséquilibre était une réalité. Le procès-verbal de Guillaume Garcias nous montre un incident qui lui apparut bien cocasse : “Et alors s’éleva un grand éclat de rire entre le témoin et quelques autres assistants, en raison de la chute et de la dégringolade d’une dame qui tomba en allant faire ses prosternations et ses génuflexions devant l’hérétique”22. Gageons que la dame en question avait un certain âge et que le banc a été probablement institué pour éviter que ce genre de situation ne se reproduise.

Revoyons quelques mentions qui nous parlent de l’usage du banc :

– Pierre Raimond Hugou : “Il les a adorés en disant : “bons chrétiens, la bénédiction de Dieu et la votre”, s’agenouillant trois fois, posant les mains sur un banc, s’inclinant devant eux et disant à chaque fois “Bénissez”23.

– Pierre Raimond Domergue : “Il l’adora […] selon le mode hérétique, en s’agenouillant trois fois, en s’inclinant, posant les mains sur un banc et en disant trois fois “Bénissez” à l’hérétique qui répondait : “Que dieu vous bénisse et vous conduise à une bonne fin !”24

– Géraud de Rodes : “je vis alors qu’ils les adorèrent en s’inclinant devant eux, et en posant les mains sur un banc ou un coussin, en disant trois fois : “Bénissez, bons hommes, priez pour moi”. Et les parfaits répondaient : “Dieu en soit prié”25.
Il est peut-être possible que le coussin n’était pas fait pour le confort des mains, mais plutôt pour celui des genoux. Pierre Maury nous le laisse entendre quand il dit que le parfait Pierre Authié : “prit un oreiller et le mis à terre”26 au moment de faire son melioramentum.
Pierre Maury nous montre encore une fois l’usage de l’oreiller, quand il raconte les prières que faisait le parfait Pierre Belibaste27 : “Il mettait un banc, ou un oreiller ou quelque chose de semblable, puis s’agenouillait fortement sur le sol et mettait les mains sur ce banc en inclinant la tête sur le sol. Et il faisait de semblable génuflexions en grand nombre, et jusqu’à ce qu’il soit fatigué […] quand il mettait ainsi ses genoux à terre et mettait les mains sur le banc, il disait : “Adoremus Patrem”28.
Quoi qu’il en soit, nous pouvons faire une remarque importante : le melioramentum faisait intégralement partie de la prière des bons chrétiens au “Père Saint des bons esprits”.

Mais revenons au melioramentum avec le banc. Nous avons vu au-dessus qu’Arnaud Sicre, jeune-homme en pleine forme, apprit à faire le melioramentum avec un banc. De même Pierre Maury, solide gaillard qui courrait dans les montagnes avec ses brebis, nous dit lui aussi qu’il usait indistinctement du banc ou pas. Dans sa déposition, il indique en effet qu’il s’agenouillait en “mettant les mains sur le sol ou sur un banc”29.

Il nous faut constater que l’usage du banc apparaît dans les dépositions tardives. Nous pouvons penser que l’usage du banc a été un compromis pour adapter le melioramentum aux capacités physiques des personnes âgées, et que par la suite l’usage s’est répandu à tous. Peut-être était-il devenu bienséant que tous fassent le melioramentum avec un banc quand une personne présente ne pouvait pas le faire autrement. Ceci pour éviter peut-être de la discriminer par rapport aux autres, mais peut-être aussi tout simplement pour une considération pratique : éviter de mettre ou retirer le banc à tout bout de champ selon les personnes présentes.

Enfin dernières remarques. Pour les personnes vraiment trop âgés pour se prosterner, on se contentait d’incliner le buste ou la tête par trois fois, en tenant ses mains jointes. Le procès-verbal de Martin de Virazeil nous le donne à voir quand il vint au chevet de son petit-fils, malade : “tous adorèrent là lesdits hérétiques, genoux fléchis en disant trois fois “Bénissez”, excepté le témoin qui ne fléchit pas les genoux mais inclina seulement la tête”30.

Mais par la suite, on a dû y substituer le melioramentum simplifié, avec inclinaison sur les deux épaules, comme on l’a vu.
Ensuite, en ce qui concerne les malades, les témoignages nous montrent qu’ils faisaient également tout leur possible pour faire leur melioramentum aux bons chrétiens qui venaient les visiter. Faye de la Plaigne nous dit que son frère Alzieu de Massabrac, blessé au siège de Montségur, “adorait de son lit, comme il pouvait”31.

Le plus souvent, on adossait le malade à un oreiller, il joignait ses mains et inclinait la tête.

L’important n’était pas de réaliser un geste précis mais de faire une démarche spirituelle adaptée à sa condition physique. Le melioramentum n’était pas une formalité rigoriste, mais une exigence spirituelle propre au catharisme qui ne séparait jamais la foi des actes. Les actes étaient au contraire l’expression de cette foi, profonde et vivante, une foi exigeante qui “coûte chair et sang”32 comme le disait si bien Pierre Maurel, l’agent des chrétiens de l’Église persécutée. Les bons croyants quel que soit leur état physique ne se dispensaient jamais de faire leur melioramentum d’une façon ou d’une autre. Pierre Peytavi nous le dit encore : “Joignant les mains, le malade leur fit la révérence qu’il put”33.

Si nous avons fait le tour des gestes opérés par les croyants, qu’en est-il de l’attitude des parfaits ou parfaites eux-mêmes ?
Trois témoignages nous laissent entrevoir que les bons chrétiens ou bonnes chrétiennes tenaient un rôle actif dans le melioramentum, tant en paroles qu’en gestes.

Le premier témoignage n’est pas l’aveu d’une adoration, mais le témoignage d’une femme, Brune Pourcel, qui rapporte la vision d’un melioramentum d’une voisine : “Je vis cette Mersende qui avait la tête inclinée vers la terre, comme si elle adorait l’hérétique selon le mode hérétique. Et quand j’entrais, je vis que l’hérétique, en disant quelque chose à voix basse, tenait la main au-dessus de cette Mersende”34.
L’autre témoignage est plus incertain et doit être rapporté en son entier : “[Arnaud de Clairac] rencontra dans un grenier, un homme âgé, au sujet duquel il apprit et sut qu’il se nommait Pierre Autier et qu’il était de ceux qu’on appelle hérétiques. Là, il écouta sa prédication : celui-ci lisait dans un livre. Ensuite, l’hérétique posa sa main sur sa tête en disant “Bénissez” et il dit à cet Arnaud, de dire “Bénissez”, ce qu’il fit”35. La description à l’emporte pièce de cette scène, extraite d’une sentence destinée à être lue devant un vaste public, évoque probablement en réalité un melioramentum, dont on sait par ailleurs qu’il clôturait toujours un prêche. Nous pouvons même supposer, la sentence le laisse entendre, qu’Arnaud de Clairac fit ce jour-là son melioramentum pour la première fois, et qu’il le fit en répétant les paroles que le parfait Pierre Autier lui apprenait. Si notre déduction est juste, on peut alors comprendre pourquoi Arnaud de Clairac ait cherché à faire passer ce melioramentum pour un vague geste de bénédiction. Il n’avait pas voulu admettre qu’il était un croyant en faisant l’aveu d’un melioramentum, le reste de sa sentence le prouve, il n’y a aucune mention d’adoration.

Le dernier est moins précis, mais il a le mérite de situer l’imposition de la main sur la tête d’un croyant à une date plus ancienne. Il s’agit d’un mouchard de l’inquisition, qui rapporte avoir vu en 1243 : “un hérétique dont il ignore le nom, dans un champ proche de Gomerville, et il vit avec ledit hérétique Pierre Gilhame et ledit hérétique tenait alors la main sur sa tête”36. Nous avons tout lieu de penser que le mouchard dénonce à l’inquisiteur un melioramentum. Il lui apporte ainsi la preuve que ce Pierre Gilhame, dont il indique par ailleurs qu’il l’avait vu accueillir des hérétiques chez lui, était un de leurs croyants.

Mais pour l’instant contentons-nous d’apprécier les précisions de “la main étendue au-dessus” de la tête de la femme et de “la main posée sur” la tête de l’homme, car elles renvoient au vœu d’abstinence des chrétiens ou chrétiennes qui interdisait tout contact charnel avec le sexe opposé, aussi infime soit-il. De même, cette imposition des mains sur la tête nous confirme indirectement que la demande de bénédiction ne pouvait pas être faite au moment de la prosternation, c’est-à-dire quand la tête du croyant touchait ses mains placées au sol devant ses genoux, car le parfait, debout, ne pouvait pas toucher la tête du croyant avec l’une de ses mains. Par contre, c’est quand le croyant était à genoux devant lui que le parfait pouvait poser sa main sur la tête du croyant.

En fait, pour prouver notre interprétation de l’imposition de la main sur la tête, il nous faut avoir recours à des procès-verbaux inédits. Il s’agit de cinq dépositions de croyants de l’Église de l’Albigeois, interrogés par l’inquisition en 1325. Or, voici ce que le notaire eut la bonne idée de retranscrire quand il coucha sur le parchemin la déposition des inculpés :

– Jean Port : “il vit et visita deux hérétiques, nommément Raimond Delboc et Raimond Désiré, et il les adora genoux fléchis en disant “Bénissez”, et il vit les autres participants adorer, ledit Raimond Delboc posant la main sur leurs têtes et en disant certains mots que le témoin ne comprit pas”37.

– Pierre Fransa : “Il adora lesdits hérétiques selon le mode et rite hérétique les genoux fléchis en disant “Bénissez”, et il vit les autres adorer, ledit hérétique Raimond Delboc en posant sa main sur sa tête et sur celle des autres et en disant des mots qu’il ne saisit pas”38.

– Jean Pays : “Il fit la révérence au plus ancien desdits hérétiques, ce dernier posant les mains sur sa tête, en disant des mots qu’il ne comprit pas”39.

– Bernard Fenasse : “Il adora les genoux fléchis disant “Bénissez” et ledit hérétique posa sa main sur la tête de celui qui dépose, en prononçant des mots que le témoin ne comprit pas”40.

– Pierre Astruc : “Quand le prêche fut fini, lui-même avec les autres participants, adora les hérétiques genoux fléchis, coiffure ôtée, en disant “Bénissez” et les hérétiques leur imposèrent les mains sur la tête”41.

Le doute n’est plus permis, les preuves sont irréfutables. L’imposition des mains est d’ailleurs tout à fait logique pour signifier une bénédiction. Il suffit d’ouvrir une bible pour se rendre compte combien les mains sont liées à la bénédiction et que c’est là une tradition qui s’est maintenue dans le christianisme. L’évangile de Matthieu par exemple, l’évangile le plus cité dans le Livre des deux principes42, nous montre que le Christ : “imposât les mains [à des enfants] et priât pour eux” (Matthieu 19 : 13). L’exégèse cathare devait tenir ces enfants pour une métaphore des enfants dans la foi, c’est-à-dire les croyants. Or, comme nous le verrons bien mieux par la suite, le melioramentum était précisément la demande des croyants aux chrétiens de prier pour eux, et les chrétiens, précisément en leur imposant les mains, s’engageaient à prier pour eux. Mieux, en posant les mains sur leurs têtes, ils priaient déjà le “Père Saint des bons esprits” pour eux. La bénédiction et le pardon d’un bon chrétien étaient ceux de Dieu lui-même et, comme dans le consolamentum qui délivrait l’Esprit Saint, cela était signifié par l’imposition des mains. C’est donc à double titre que l’on peut dire que l’imposition des mains était le seul sacrement du christianisme cathare.
On ne peut en effet passer sous silence ce parallèle, qui n’est pas fortuit. La forte signification de l’imposition des mains, présente dans le melioramentum et le consolamentum, indique bien que le premier menait au second et que les deux rites étaient étroitement liés. N’oublions pas que le croyant est un chrétien en devenir, qu’il était entré dans l’Église et que par là-même il s’était engagé dans “la voie de justice et de vérité” que menait les parfaits en Christ. Par étapes successives, par progrès spirituel, en posant à chaque fois les actes en concordance tant profane43 que religieuse44, on s’engageait de plus en plus sur cette “voie de justice et de vérité” dont le consolamentum était la consécration, à la fois aboutissement d’un cheminement et point de départ d’un autre. Il était un point de convergence comparable au goulet d’un sablier, la porte étroite dirait plutôt l’Évangile, qui par retournement, le christianisme appelle cela la conversion, redéploie librement le sable qu’il avait auparavant dirigé. Le consolamentum n’était pas qu’un point d’arrivé, un état acquis ou une obéissance à la discipline ecclésiale, mais aussi un point de départ, un état toujours à acquérir, un apprentissage de la liberté. Comme le sable qui ne cesse de s’écouler, “la voie de justice et de vérité” est un mouvement de l’Esprit, une quête d’Amour pur et absolu qui ne peut prendre fin qu’avec la dissolution du corps, comme un sablier brisé qui laisse échapper le sable qu’il retenait prisonnier.

Mais ne débordons pas trop de notre sujet, et revenons aux précieux témoignages des croyants Albigeois.
La première déposition nous donne un luxe de détail extrêmement précis en ce qui concerne les modalités de l’imposition des mains sur la tête, mais il nous faut tout de suite dire plutôt de la main. Nous pouvons même préciser qu’il s’agit de la main droite, car le rituel de Florence l’indique pour le consolamentum. Il était requis de poser la main droite45 et il n’y a pas de raison de penser que le melioramentum pouvait faire exception.
Nous voyons que des deux parfaits présents, c’est Raimond Delboc qui étend la main, non les deux chrétiens avec leurs deux mains, comme peut nous le laisser accroire la dernière déposition. En effet, Raimond Désiré est présenté comme le compagnon de Raimond Delboc. C’est donc ce-dernier qui détenait le ministère de la prédication et des sacrements, car c’est toujours le plus ancien dans la foi qui doit officier, et ce en toute occasion. La déposition de Jean Pays nous le dit d’ailleurs en toute lettre, revoyons-la : “Il fit la révérence au plus ancien desdits hérétiques, ce dernier posant les mains sur sa tête”.

Par ailleurs, la déposition de Bernard Escoulan nous le confirme : “j’ai vu les parfaits Raimond Lombard et Guillaume Pons […] mon père, et moi instruits par ces parfaits, les avons adorés les genoux fléchis et les paumes mises à terre, en disant “Bénissez…”, et l’aîné des parfaits, Guillaume, répondant “Dieu vous bénisse”46.

Retenons que la gestuelle va de pair avec la formulation, autrement dit c’était toujours le plus ancien dans la foi qui officiait.

Maintenant que nous avons collationné les différents éléments de la gestuelle, il nous faut retrouver les échanges verbaux.
La déposition d’Alazaïs Azema nous en donne une première description : “Je m’agenouillai devant ses hérétiques, en mettant les mains à terre et en inclinant la tête, et dis aux hérétiques : “Bénissez-moi bons chrétiens, priez Dieu pour moi” et l’hérétique Guillaume [Autier] répondit “Dieu te bénisse et te mène à bonne fin”. Ce qui fut fait trois fois et trois fois répondu par l‘hérétique”47.

Remarquons que la demande de bénédiction était “Bénissez-moi bons chrétiens, priez Dieu pour moi” et que les parfaits ou parfaites, répondaient “Dieu te bénisse et te mène à bonne fin” et que le tout était répété trois fois, s’il faut en croire la quasi unanimité des procès-verbaux de l’inquisition.

Mais encore une fois, il nous faut dire qu’il s’agit ici d’un résumé de notaire qui ne s’est pas attaché à décrire le rite de manière rigoureuse, mais seulement à l’évoquer. Les formulations ne se réduisaient pas à cette demande de bénédiction répétée trois fois.
La déposition d’Aldric Sans nous le fait comprendre très clairement : “Jean Faure m’apprit à adorer les bons hommes, et dire “Bénissez” et “Pardonnez” et le reste de ce qu’on dit aux hérétiques quand on les adore, savoir “Le Père, le Fils et le Saint-Esprit vous pardonne et vous absout de tous vos péchés”48.

Ici l’approximation et la confusion du notaire est manifeste, à moins qu’il ne s’agisse d’un bourdon du copiste Doat. S’il nous indique que le “Bénissez” était associé au “Pardonnez”, il attribue la dernière formule au croyant alors qu’il s’agissait sans nul doute possible de la réponse des bons chrétiens.

En tous cas, nous pouvons en déduire que la demande de bénédiction était liée également à une demande de pardon. La formulation est bien connue par ailleurs car il s’agit d’une phrase clé dans les rites cathares. Il s’agit de la formulation : “Bénissez-moi, pardonnez-moi” que l’on retrouve en usage systématique tant par les parfaits ou parfaites que par les croyants. Les deux rituels cathares qui nous sont parvenus en font foi, ainsi que les dépositions des croyants qui associent cette formulation dans tous leurs rapports avec les parfaits, par exemple c’est en prononçant cette phrase que les croyants consommaient le pain béni. La déposition d’un barbier nous dit même qu’il faisait son office sur les parfaits, en prononçant cette formulation ! C’est-dire combien cette formulation était importante et usuelle.

Cependant, il nous faut bien remarquer que, curieusement, cette formulation de pardon est, sauf exception, absente des témoignages. Ils mentionnent seulement la bénédiction. De même en ce qui concerne la réponse des parfaits, la plupart s’en tiennent au fait que les parfaits répondaient par un “Dieu vous bénisse”, comme nous l’avons vu dans les citations précédentes. Mais comme nous l’avons vu également ci-dessus, on retrouve aussi des formulations de pardon : “Le Père, le Fils et le Saint-Esprit vous pardonne et qu’il vous absolve de tous vos péchés “, mais nous avons encore relevé cet autre formulation : “Le Seigneur vous pardonne et vous fasse bons chrétiens”49.
Par conséquent, il nous semble vraiment étonnant que l’on pût répondre à une simple demande de bénédiction par une absolution des péchés ! Il n’y a pas du tout de concordance. Aussi, il faut bien en déduire, encore une fois, que les notaires n’ont pas pris soins de reproduire fidèlement et exactement les différentes paroles échangées. La déposition de Blanche de Rodes est exemplaire à ce titre. Voyons les descriptions que fit le notaire de ses melioramentum :

1- “je leur fis la révérence et les adorai à genoux trois fois devant eux, en disant à chaque génuflexion : “Bons chrétiens, la bénédiction de Dieu et de vous autres”, et les parfaits répondaient : “Dieu vous donne de son Bien et vous amène à bonne fin”.

2- “je les adorai une fois en m’agenouillant trois fois et en disant : “Bons chrétiens, la bénédiction de Dieu et la vôtre”, eux répondant : “Dieu vous mène à bonne fin”, comme plus haut”, précise le notaire !

3-“je les adorai trois fois en m’agenouillant et en disant : “Bons chrétiens, je demande la bénédiction de Dieu et la vôtre”, eux répondant : “Dieu vous amène à bonne fin” comme plus haut”.

4-“Je les adorai trois fois, en m’agenouillant, disant :”Bons chrétiens, je demande la bénédiction de Dieu et la vôtre”, et ces parfaits répondaient : “Dieu vous donne de son Bien, et vous pardonne”.

5-“je les adorai trois fois en m’agenouillant, en disant “Bons chrétiens, la benedictio de Dieu e de vos autres”, et ils répondaient : Dieu vous bénisse et vous amène à bonne fin”.

Ainsi, la même personne est censée avoir prononcé des formulations sensiblement différentes à l’occasion d’un même rite, dont nous avons toutes les raisons de penser, bien au contraire, qu’il devait être solidement fixé par la tradition. Remarquons également les approximations de la description de la gestuelle.

Relevons toutefois les points intéressants à remarquer dans les mentions de formulations. Tout d’abord, dans la quatrième citation nous voyons que les parfaits prononcent une demande de pardon, seule mention sur les cinq. Ensuite, dans la cinquième citation, le notaire a eut la bonne idée de rapporter la demande de la croyante en occitan et non en latin, ce qui indique que Blanche de Rodes ne formulait pas en latin, mais dans sa langue maternelle, l’occitan. Ce qui nous laisse entendre que les rites n’étaient pas toujours scrupuleusement conservés en latin. En effet, les cathares en traduisant les évangiles en ce que l’on considérait alors comme langue vulgaire, démontrent qu’ils avaient le souci d’être compris et entendus des personnes à qui ils s’adressaient. Et que par conséquent, si cela était valable pour les textes sacrés cela l’était également pour les rites, qui eux aussi étaient sacrés. Nous y reviendrons.

Mais le plus intéressant, c’est que la demande de bénédiction est invariable, sauf légères variantes négligeables, alors qu’il n’en n’est pas du tout de même quant aux réponses des parfaits. Nous pouvons en déduire que Blanche connaît bien mieux la formulation qu’elle prononce, que celle qu’elle écoute. Comme nous l’avons déjà vu précédemment, les parfaits murmuraient leur réponse, de sorte que les croyants ne pouvaient pas parfois entendre distinctement ce qu’ils disaient. La raison de cette absence de grandiloquence, est simple à comprendre, le rite n’était pas un cérémonial, mais une relation intime entre un croyant et un parfait. Tous deux étaient en état de recueillement extrême, ils priaient tous deux le Bon Père. Mieux, le Père Saint était, là, présent, car comme le dit l’Évangile : “Car là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux”. Or le melioramentum était bel et bien cet assemblement d’un croyant et d’un parfait sans oublier son compagnon parfait présent à ses côtés, mais pas toujours, il pouvait arriver que le parfait soit seul. Mais dans tous les cas de figure le melioramentum rassemblait toujours deux ou trois personnes au nom du “Père Saint des bons esprits”. C’est pourquoi, le melioramentum était le socle de la spiritualité cathare.
S’il y a une mystique cathare, elle se trouve ici, dans le melioramentum, car il était sans nul doute possible la présence réelle de Dieu, c’est-à-dire la présence spirituelle du Principe de toute Bonté, comme le dit l’évêque cathare Jean de Luigio quand il parle de Dieu. Cette Bonté que le rituel cathare fonde précisément sur la volonté du Bien et la conscience de ses fautes. Bénédiction et Pardon comme l’exprime si parfaitement la formulation consacrée des chrétiens cathares. L’ordre de la formulation à un sens pas du tout accessoire, mais capital. Le fait que l’on demande d’abord la bénédiction et le pardon ensuite, indique que la Grâce précède en tout. L’Amour de Dieu est donné, l’Amour est premier en toute chose, et c’est cet Amour reçu qui rend meilleur en réveillant notre conscience de nos méfaits.
Nous sommes ici diamétralement à l’inverse de la théologie judéo-chrétienne, qui accuse tout d’abord, qui culpabilise, pour justifier ensuite l’autorité de l’Église romaine par le pouvoir de son pardon. Et par là même, assurer son empire en ce monde et sur les consciences.
Ce mécanisme accusateur, c’est le fruit des fidèles à la Loi, de ceux qui n’ont pas rompu avec le dieu de la Loi pour se convertir au Dieu d’Amour. Le Christ l’exprime sans équivoque dans l’évangile de Jean : “Ne pensez pas que moi je vous accuserai devant le Père; celui qui vous accuse, c’est Moïse50, en qui vous avez mis votre espérance” (Jean 5 : 45).

Mais revenons aux formulations du melioramentum, elle ne se réduisait pas à une triple simple demande de bénédiction. La déposition de Bernard Issaura, nous donne une information importante : “J’ai adoré […] à genoux, en disant trois fois “Bénissez” et au dernier “Bénissez”, je disais “Bons chrétiens, priez Dieu pour nous qu’il nous mène à bonne fin”, et lesdits parfaits disaient et répondaient : “Dieu vous mène à bonne fin” et d’autres mots à voix basse”51. Autrement dit, les deux premières prosternations étaient suivies du simple “Bénissez-moi, pardonnez-moi” mais que la troisième prosternation était suivie d’une formulation plus longue. Guillaume Carriere, parfait repenti, nous le confirme : “Nous ajoutions au dernier “Benedicite” : “Dieu soit prié de nous amener à bonne fin et dans les mains des fideles chrétiens”52.

Le descriptif du melioramentum donnée dans la déposition de Stéphane de Rozengues, indique une variante de cette dernière demande de bénédiction : “Et tous, ainsi que le témoin, adorèrent là lesdits hérétiques en disant trois fois, chacun pour soi : “Bénissez”, les genoux fléchis, face à eux, et en ajoutant : ” Seigneurs, priez Dieu pour ce pécheur, afin qu’il me fasse bon chrétien et qu’il me mène à bonne fin”53.

La déposition de Jaques Garsend nous rapporte elle aussi le phénomène de la demande finale, mais nous en livre une réponse tronquée : “les parfaits répondaient à la troisième bénédiction ou à la troisième génuflexion : “Dieu vous amène à bonne fin”54.

Comme nous pouvons le constater, les procès verbaux de l’inquisition nous ont transmis de multiples variantes des paroles échangées. Il ne s’agit certainement pas de variantes qui étaient en usage chez les cathares, mais tout simplement la manière dont le notaire les a retranscrites avec plus ou moins de fidélité. Il est en effet douteux d’attribuer ces variantes aux croyants eux-mêmes. Le melioramentum était un rite majeur chez les cathares et il était pratiqué au quotidien, aussi il est difficilement imaginable qu’il pouvait varier d’une personne à un autre. Il devait au contraire être solidement fixé par la tradition et l’usage.

Nous pouvons en avoir la conviction sur ce que rapporte l’inquisiteur italien, Anselme d’Alexandrie, dans son Tractatus de hereticis. Ce dernier, nous donne une description précieuse du melioramentum en usage dans les Églises cathares italiennes : “[Il] s’incline et fait profondément la prosternation et il dit : “Bénissez”. Il s’incline une seconde fois et dit : “Bénissez, pardonnez-nous” s’il est cathare de profession. S’il n’est que croyant, il dit : “Bénissez, pardonnez-nous bons chrétiens, priez Dieu qu’il me mène à bonne fin et me libère de male mort”. Et il répond : “Le seigneur nous bénisse et nous garde dans Son service”, s’il est parfait. Il répond par contre à un croyant : “le Seigneur te mène à bonne fin et te fasse échapper à male mort”55.

S’il nous confirme par un air de famille évident les informations que nous avons passées en revue. Il nous confirme également que sa description est aussi fautive que celles des autres. Par exemple, il ne signale que deux prosternations et n’indique aucune réponse à la première demande de bénédiction ! Fait plus gênant, il place la prosternation avant la demande de bénédiction, et non après avoir reçu la bénédiction, comme le procès-verbal d’Arnaud Sicre et de Pierre Maury nous le laisse voir. Mais il ne faut pas se laisser abuser par l’information d’Anselme d’Alexandrie qui n’est pas un témoignage de première main. Il faut plutôt faire confiance à Pierre Maury qui fut non seulement un croyant mais un agent de l’Église cathare.

En dépit de toutes ces approximations, Anselme d’Alexandrie nous indique quand même une information particulièrement précieuse. Il nous donne les formulations échangées entre deux parfaits qui faisaient leur melioramentum. En effet, jusqu’à présent nous avons surtout parlé du melioramentum entre un croyant et un parfait, et ceci pourrait laisser penser que cet usage leur était réservé. De même, nos citations précédentes pourraient laisser penser que les croyants ne faisaient pas leur melioramentum aux bonnes chrétiennes. Il va de soi que les croyants faisaient, leur melioramentum aux parfaites sans distinction aucune. Bernarde Targuier nous le montre : “Je les ai vu adorer souvent ces parfaites les genoux fléchis, disant “Bénissez, bonnes femmes, priez Dieu pour nous”56. Dans l’Église cathare, les femmes avaient exactement le même statut que les hommes. Elles pouvaient bénir et pardonner, prêcher et baptiser – consoler57–, comme les hommes. Ceci étant dit un fois pour toutes, revenons sur la considération que le melioramentum serait le seul apanage des croyants.

En effet, il n’en est rien. Un document nous en livre d’ailleurs un témoignage particulièrement émouvant. Il s’agit des parfaits Amiel de Perles et Pierre Autier, tous deux capturés et confrontés devant le tribunal inquisitorial. La première chose qu’ils firent quand ils se retrouvèrent en présence l’un de l’autre, c’est l’inquisiteur Bernard Gui qui nous le dit lui même, scandalisé : “ils se sont adorés réciproquement l’un l’autre en s’inclinant jusqu’à terre selon leur rite”58.
Nous pouvons même dire que le melioramentum était d’abord la prérogative des parfaits ou parfaites avant d’être celui des croyants. C’était là l’usage des membres de l’Église cathare, c’est-à-dire des chrétiens et chrétiennes en premier lieu et en second lieu des croyants qui devenaient membre de l’Église en tant que catéchumènes. C’était à ce titre qu’ils étaient autorisés à faire le melioramentum.

Le melioramentum était pratiqué par les bons et vrais chrétiens, pour les même raisons et de la même manière que les croyants, sauf que là c’était le chrétien le plus jeune dans la foi qui faisait son melioramentum. Pierre Baussan qui fit son noviciat, nous le dit : “Je fus le compagnon de ce parfait, vivant avec lui, je l’adorai mainte fois, j’entendis mainte fois ses paroles et ses sermons, je mangeai mainte fois avec lui à la même table et du pain béni par lui”59.
En fait le melioramentum était une activité quotidienne pour les chrétiens cathares. Dans les maisons cathares le melioramentum à l’ancien ouvrait et clôturait une journée, sans parler des prières rituelles et autres rites comme l’apperlhamentum60 mais qui lui était mensuel. Les chrétiens cathares suivaient en effet des heures de prières, sorte de rosaire pour faire un parallèle pas très heureux. Et l’un des points forts de ces prières rituelles c’était “l’Adoremus” : “Adorons, le Père, le Fils et le Saint Esprit” qui était accompagnée de prosternations comme nous l’avons vu faire par le parfait Pierre Belibaste, plus haut.

En ce qui concerne maintenant la question de la langue employée, nous pouvons tenir pour assuré que la langue vernaculaire était utilisée puisque des notaires ont rapporté dans leur procès-verbaux les formulations en occitan, comme celle d’Alamande de Sos par exemple : “je l’adorai trois fois en fléchissant le genou, en disant : “Bo crestia, la benediccio de Dieu e de vos”61. Mais cela ne veut pas dire pour autant que tout se faisait en langue vernaculaire. Au contraire, le rituel de Lyon rédigé en occitan donne les formules rituelles en latin. Ce qui veut dire que le latin était la langue rituelle des cathares et ceci s’explique parfaitement. Au moyen-âge, le latin était la langue véhiculaire de l’occident et qu’elle était de fait la langue du sacré, du religieux.

Mais contrairement au catholicisme qui célébrait la messe intégralement en latin, quand bien même le petit peuple n’y comprenait pas un traître mot, le catharisme avait le souci d’être audible. C’est pourquoi il avait traduit les évangiles en occitan comme nous l’avons dit. Aussi, seules les formules rituelles étaient conservées en latin comme marqueur de la sacralité de ce qui se faisait et sans doute également, pour conserver la communion avec les autres Églises cathares, celle de France ou d’Italie. Les formules rituelles étaient extrêmement simples et se résumaient à quelques phrases clés pour que tous en retiennent le sens. Mais les chrétiens cathares s’adaptaient à leur public, l’important c’était de savoir et comprendre ce que l’on faisait. Le rite en lui-même n’avait aucun sens, s’il ne faisait pas sens à ceux qui le faisaient. C’est pourquoi, on retrouve des formulations rituelles en occitan dans les témoignages des gens simples, paysans et bergers qui ne comprenait et ne parlaient que l’occitan et qui ne voyaient les parfaits qu’à la dérobée, de temps à autre. Trop peu pour assimiler les formulations latines probablement, ce qui ne devait pas être le cas durant le temps de paix de l’Église cathare.

Il reste encore un point à remarquer dans les formulations latines. Contrairement à ce que l’on pourrait s’attendre, la bénédiction et le pardon donnée par les parfaits n’était pas au présent mais au subjonctif : “qu’il vous bénisse, qu’il vous pardonne” et non “je vous bénis, je vous pardonne”. Pourtant, nous avons dit plus haut que la bénédiction et le pardon donné par le chrétien équivalait à celui de Dieu lui-même, alors pourquoi l’emploi du subjonctif ?
L’emploi du subjonctif révèle la profondeur spirituelle du catharisme, l’humilité des bons chrétiens faisait qu’ils ne se prenaient pas pour Dieu lui-même. Ils avaient conscience que ce n’étaient pas eux qui bénissaient et pardonnaient, mais le Père Saint. C’est lui qui agissait et ils ne pouvaient pas se prononcer à sa place, ils ne pouvaient que signifier la possibilité de la bénédiction et du pardon que Dieu seul opérait ou pas.

Quant aux bons chrétiens, ils agissaient selon leur conscience. Attitude magnifiquement résumée par le parfait André de Prades : “Le bon homme fait ce qu’il peut, […] Dieu ce qu’il veut”62.

Les bons chrétiens étaient fidèles à la parabole évangélique, ils se savaient “serviteurs inutiles” : “Vous de même, quand vous avez fait tout ce qui vous a été ordonné, dites: Nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire” (Luc 17 :10).

Face à leurs persécuteurs qui prétendaient lier leur volonté à celle de Dieu, leur jugement à celui de Dieu même, les bons chrétiens, eux, ne mentaient pas, ni ne faisait mentir Dieu en se parjurant dans ce scandale. Ils bénissaient et pardonnaient sans fin. Là encore ils étaient fidèles à la parole évangélique : “combien de fois pardonnerai-je à mon frère, lorsqu’il péchera contre moi ? Sera-ce jusqu’à sept fois ? Jésus lui dit: Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois” (Matthieu 18 : 21-22).

Maintenant que nous avons rassemblé les pièces du puzzle, du moins toutes celles que nous avons pu trouver, il nous revient de tenter de les assembler, afin de restituer le rite dans son ensemble. Nous ne pouvons proposer que la solution la plus vraisemblable à nos yeux, en complétant les pièces manquantes par conjectures. Nous ne prétendons pas fermer la question, mais ouvrir une première étude que nous pensons suffisamment documentée pour pouvoir se prononcer.

Nous sommes arrivés à la conclusion que le melioramentum se faisait en cinq étapes successives : la révérence, l’agenouillement, l’imposition des mains, la prosternation et, à la fin, le baiser de paix. Pour les formulations, nous conservons le latin car sauf exception d’adaptation, elle était la langue rituelle des cathares. Nous ajoutons toutefois la traduction en français pour indication et aussi parce que les témoignages le prouvent, les parfaits avaient le souci de parler dans la langue compréhensible de leurs croyants. Mais nous donnons également une formulation mixte qui nous semble avoir été employée par les croyants, accoutumés un tant soit peu aux phrases latines clés du rituel. Par contre, nous conservons uniquement le latin, avec traduction entre parenthèse, pour les formulations faites par les parfaits. De par leur formation et de par leur pratique, ils devaient avoir complètement assimilé les formulations rituelles latines.

Le croyant/croyante ou chrétien/chrétienne qui devait faire son melioramentum, se tenait debout face au chrétien/la chrétienne ou le plus souvent la paire de chrétiens/chrétiennes, également debout :

Le croyant/ la croyante ou le chrétien/la chrétienne devait incliner son buste devant lui/eux en tenant ses mains jointes à plat l’une contre l’autre, verticalement devant la poitrine, puis dans la foulée, sans se redresser, il/elle devait poser ses mains sur ses cuisses et se servir de cet appui pour s’agenouiller. Ou si on utilisait l’aide d’un banc, on s’appuyait dessus.

Là, à genoux, il/elle rejoignait ses mains devant la poitrine, la tête inclinée vers ses mains et, certainement les yeux mi-clos, dans un profond recueillement, il/elle devait dire d’une voix suffisamment audible pour le chrétien/la chrétienne auquel/à laquelle il/elle s’adressait :

– “Benedicite parcite nobis boni christiani/bonae christianae, orate Deum pro me”.

– Ou bien : “Benedicite parcite nobis, bons chrétiens/bonnes chrétiennes, priez Dieu pour moi”.

– Ou encore : “Bénissez-nous, pardonnez-nous bons chrétiens/bonnes chrétiennes, priez Dieu pour moi”.

Après quoi, le plus ancien/la plus ancienne dans la foi devait alors poser sa main droite sur/au-dessus de sa tête et murmurer quelque chose qui devait ressembler à ceci :

– “Pater et Filius et Spiritus Sanctus benedicat et parcat tibi et dimittat tibi omnia peccata tua”.

– ou : “Le Père, le Fils et le Saint Esprit te bénisse et te pardonne et qu’il t’absolve de toutes tes fautes”.

Quand le chrétien/la chrétienne avait fini de prononcer sa formulation, il/elle devait retirer sa main.

Alors le croyant/la croyante posait ses mains sur le banc ou au sol devant ses genoux, ses mains croisées l’une au-dessus de l’autre, puis se prosternait jusqu’à ce qu’il/elle touche ses mains avec son front, puis les baisait et se relevait aussitôt pour recommencer une deuxième fois, puis une troisième fois.

Mais au troisième agenouillement, le croyant/la croyante disait :

– “Benedicite parcite nobis, boni christiani/bonae christianae, orate Deum pro me quod faciat me bonum christianum et perducat ad bonum finem”.

– ou : “Benedicite parcite nobis, bons chrétiens/bonnes chrétiennes, priez Dieu pour moi afin qu’il me fasse bon chrétien et qu’il me mène à bonne fin”.

– ou encore : “Bénissez-nous, pardonnez-nous bons chrétiens/bonnes chrétiennes, priez Dieu pour moi afin qu’il me fasse bon chrétien et qu’il me mène à bonne fin”.

En réponse, le chrétien ou la chrétienne devait dire ceci la main étendue sur/au-dessus de la tête :

– “Pater et Filius et Spiritus Sanctus benedicat et parcat et perducat te ad bonum finem in manus fidelium christianorum”.

– ou “Le Père, le Fils et le Saint Esprit, te bénisse et te pardonne et qu’il te conduise à bonne fin dans les mains des fideles chrétiens”.

S’il s’agissait d’un chrétien ou d’une chrétienne qui faisait son melioramentum, le chrétien/la chrétienne qui recevait ce melioramentum devait dire, toujours la main étendue sur/au-dessus de sa tête : “Pater et Filius et Spiritus Sanctus benedicat et parcat nobis et quod tuorat nobis in officium se” (Le Père le Fils et le Saint Esprit nous bénisse et nous pardonne et qu’il nous garde à Son service).

Quand le chrétien ou la chrétienne avait fini de prononcer sa formulation, il/elle devait retirer sa main et le croyant ou la croyante ou le chrétien ou la chrétienne qui faisait son melioramentum, se relevait et il se donnait le baiser de paix en s’embrassant l’un l’autre sur la bouche par deux fois, bouche en travers. C’est-à-dire que l’un embrassait puis était embrassé par l’autre. Si le croyant/la croyante était du sexe opposé, le chrétien/ la chrétienne plaçait devant son visage son évangéliaire et c’était cet évangéliaire que l’on embrassait. Quant aux croyants, ils s’embrassaient uniquement entre personne du même sexe, pour les raisons que l’on devine.

À ce stade, il ne nous reste plus qu’à situer la pratique du melioramentum dans l’ecclésiologie cathare.

Tout d’abord, comme nous l’avons déjà dit, il était le rite d’entrée dans l’Église cathare. C’est par lui qu’un simple auditeur ou sympathisant devenait un croyant de l’Église cathares. Il en devenait un membre à part entière en tant que catéchumène, c’est-à-dire un apprenti au baptême – le consolamentum –. En étant admis à faire le melioramentun, le croyant prenait l’engagement de vouloir devenir un chrétien et d’en recevoir la formation et l’enseignement pour le devenir un jour. Il s’engageait également à les aimer de tout son cœur et de leur être fidèle en tout point, mais surtout de ne jamais leur faire le moindre mal, pas même un petit mensonge, mais au contraire de leur faire tout le bien possible. Sans ces engagements, sans ces dispositions de cœur et d’esprit, sans cette attitude d’humilité et de grâce, il ne pouvait pas y avoir de croyant et donc pas de melioramentum le signifiant.

Pierre Maury l’agent du parfait Pierre Belibaste, en fit un exposé clair à l’inquisiteur Jacques Fournier : “tous les croyants font ce melhorer, car s’ils ne le faisaient pas, les hérétiques ne les tiendraient pas pour leurs croyants et également parce que dès lors s’ils tombaient malades, pourvu qu’ils fussent encore en vie, ils pourraient être reçus et hérétiqués par les hérétiques”63. Autrement dit, nul n’était admis à recevoir le consolamentum s’il n’avait été croyant auparavant, mais nous y reviendrons.

1 Rituel occitan de Lyon et le rituel latin de Florence. Voir René Nelli, Écritures cathares, Paris, Éditions du Rocher, 1995, p. 217.

Doat XXI, f° 260 r°. Traduction de l’auteur.

3 Doat XXI, f° 279 r°. Traduction de l’auteur.
Dans les années de persécution, pour ne pas attirer l’attention, le rite a été très abrégé  au point que très certainement quand un croyant croisait un revêtu il faisait juste semblant d’éternuer, dans une attitude qui rappelle la gestuelle du rite; il n’avait plus qu’à attendre le “Dieu vous bénisse” du Parfait, formule qui a traversé les siècles.

4 Ms. 124, f° 71. Traduction Jean Duvernoy.

5 Ms. Lat. 4296, f° 51 r°. Traduction Jean Duvernoy.

6 Doat XXV, f° 174 r°. Traduction Jean Duvernoy.

Doat XXII, f° 57 v°. Traduction Jean Duvernoy.

8 Doat XXV, f° 245 r°. Traduction Jean Duvernoy.

9 Jean Duvernoy, Le registre d’inquisition de Jacques Fournier, Paris, Bibliothèque des introuvables, 2006, p. 345.

10 Annette Pales-Gobilliard, Livre des sentences de Bernard Gui, Paris, CNRS éditions, 2002, p. 345.

11 Annette Pales-Gobilliard, Livre des sentences de Bernard Gui, Paris, CNRS éditions, 2002, p. 1107.

12 Jean Duvernoy, Le registre d’inquisition de Jacques Fournier, Paris, Bibliothèque des introuvables, 2006, p. 788.

13 Jean Duvernoy, Le registre d’inquisition de Jacques Fournier, Paris, Bibliothèque des introuvables, 2006, p. 926.

14 Ms. Lat. 4269, f° 22 r°. Traduction Jean Duvernoy.

15 Annette Pales-Gobilliard, Livre des sentences de Bernard Gui, Paris, CNRS éditions, 2002, p. 419.

16 René Nelli, Écritures cathares, Paris, Éditions du Rocher, 1995, p. 247.

17 Annette Pales-Gobilliard, Livre des sentences de Bernard Gui, Paris, CNRS éditions, 2002, p. 1005.

18 Annette Pales-Gobilliard, Livre des sentences de Bernard Gui, Paris, CNRS éditions, 2002, p. 1479.

19 Ms. Lat. 4269, ff° 28 v°-29 r°. Traduction Jean Duvernoy.

20 Jean Duvernoy, Le registre d’inquisition de Jacques Fournier, Paris, Bibliothèque des introuvables, 2006, p. 984.

Dans les années de persécution, pour ne pas attirer l’attention, le rite a été très abrégé  au point que très certainement quand un croyant croisait un revêtu il faisait juste semblant d’éternuer, dans une attitude qui rappelle la gestuelle du rite; il n’avait plus qu’à attendre le “Dieu vous bénisse” du Parfait, formule qui a traversé les siècles.

21 Rituel qui consistait à s’embrasser sur la bouche. En cas de baiser entre sexe opposé, pour ne pas enfreindre leur vœu d’abstinence qui interdisait tout contact physique avec le sexe opposé, les bons chrétiens ou bonnes chrétiennes plaçaient devant leur visage l’évangéliaire et c’était cet évangéliaire que l’on embrassait. Cet évangéliaire chaque bon chrétien le recevait à son baptême. Ils le portaient dans une poche suspendue à leur ceinture.

22 Ms. 609, f° 164. Traduction Jean Duvernoy, in La religion des cathares, Toulouse, Privat, 1976, p. 204.

23 Annette Pales-Gobilliard, Livre des sentences de Bernard Gui, Paris, CNRS éditions, 2002, p. 449.

24 Annette Pales-Gobilliard, Livre des sentences de Bernard Gui, Paris, CNRS éditions, 2002, p. 1477.

25 Géraud de Rodes, Ms. Lat. 4269, f° 1 r°. Traduction Jean Duvernoy.

26 Jean Duvernoy, Le registre d’inquisition de Jacques Fournier, Paris, Bibliothèque des introuvables, 2006, p. 926.

27 Plus probablement Pierre Maury était associé à la prière à ses côtés, il ne devait pas être un simple spectateur. En effet, les parfaits ne se donnaient pas en spectacle quand ils priaient. Ils étaient fideles à l’Évangile qui recommandait : “Lorsque vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites, qui aiment à prier debout dans les synagogues et aux coins des rues, pour être vus des hommes. Je vous le dis en vérité, ils reçoivent leur récompense. Mais quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dans le lieu secret” (Matthieu 6 : 5-6). En fait, seuls les bons croyants étaient admis à s’associer à leurs prières. Avant les persécutions qui bousculèrent la discipline ecclésiale cathare du temps de la paix, les croyants bien avancés dans la foi pouvait prier le Notre Père avec les bons chrétiens. C’était là l’ultime degré avant la demande du baptême d’imposition des mains.

28 Jean Duvernoy, Le registre d’inquisition de Jacques Fournier, Paris, Bibliothèque des introuvables, 2006, p. 979. “Adoremus Patrem et Filium et Spiritum sanctum” (Adorons le Père, le Fils et l’Esprit saint). Elle était la prière par excellence des parfaits et constituait une partie de la prière liturgique du Notre Père.

29 Jean Duvernoy, Le registre d’inquisition de Jacques Fournier, Paris, Bibliothèque des introuvables, 2006, p. 984.

30 Ms. 609, f° 33 r°. Traduction de l’auteur.

31 Doat XII, f° 246 v°. Traduction Jean Duvernoy.

32 Doat XXV, ff° 46 v°

33 Doat XXV, f° 264 v°. Traduction Jean Duvernoy.

34 Jean Duvernoy, Le registre d’inquisition de Jacques Fournier, Paris, Bibliothèque des introuvables, 2006, p. 346. En note, Jean Duvernoy, surpris par cette mention inhabituelle, pense qu’il s’agit d’une médisance, que Brune Pourcel veut faire croire à un consolamentum mais cette hypothèse est à notre sens intenable. Tout simplement parce que le texte situe clairement le fait à un melioramentum. En clair, Brune Pourcel déclare à l’inquisiteur qu’elle a surprise sa voisine en train d’adorer un hérétique, en lui décrivant la scène.

35 Annette Pales-Gobilliard, Livre des sentences de Bernard Gui, Paris, CNRS éditions, 2002, p. 615.

36 Ms. 609, f° 44 r°. Traduction de l’auteur.

37 Doat XXVII, f° 137 r°. Traduction de l’auteur.

38 Doat XXVII, ff° 137 v°- 138 r°. Traduction de l’auteur.

39 Doat XXVII, f° 136 v°. Traduction de l’auteur.

40 Doat XXIIX, f° 33 v°. Traduction de l’auteur.

41 Doat XXIIX, f° 34 v°. Traduction de l’auteur.

42 Livre de théologie cathare écrit par Jean de Luigio. Il fut l’évêque d’une Église italienne. Ce traité est traduit dans l’ouvrage de René Nelli, Écritures cathares, Paris, Éditions du Rocher, 1995.

43
 Les témoignages nous montrent par exemple le refus de tuer les animaux. Les plus avancés dans la foi s’abstenaient de manger de la viande. À un stade ultime, ils s’abstenaient également des rapports sexuels. À ce moment là, ils étaient mûrs pour leur baptême.

44 Admission par exemple à partager la table des chrétiens, puis pour les plus avancés à participer à leur prière, ou encore à faire la convenenza. Pacte ou accord entre un ministre de l’Église cathare et un croyant qui lui garantissait de recevoir le baptême en cas de perte de conscience.

45 Cf : René Nelli, Écritures cathares, Paris, Éditions du Rocher, 1995, p. 258.

46 Doat XXV f° 245 r°. Traduction Jean Duvernoy.

47 Jean Duvernoy, Le registre d’inquisition de Jacques Fournier, Paris, Bibliothèque des introuvables, 2006, p. 310.

48 Doat XXV, f° 19. Traduction de l’auteur. Le texte latin de la dernière formule est celui-ci : “Pater et Filius et Spiritus sanctus parcat vobis et dimittat vobis omnia peccata vestra”.

49 Ms. Lat. 4269, f° 14 v°. Traduction Jean Duvernoy.

50 À travers Moise c’est ici la Loi qui est naturellement visée, puisque c’est de lui qu’elle provient. C’est lui qui a donné les tablettes de la Loi au peuple. Voir exode 24 :12.

51 Ms. Lat. 4269, f° 35 v°. Traduction Jean Duvernoy.

52 Ms. 124, f° 71. Traduction Jean Duvernoy.

53 Ms. 609, f° 4 v°. Traduction de l’auteur.

54
 Ms. Lat. 4296 f° 51 r°. Traduction Jean Duvernoy.

55 Cité par Jean Duvernoy in La religion des cathares, Toulouse, Privat, 1976, p. 210.

56 Doat XXII, f° 2 v°. Traduction Jean Duvernoy.

57 Appellation synonyme employée de préférence par les cathares, tirée de la Vulgate, la traduction latine de la bible faite par Jérôme au IV siècle. Ce dernier avait traduit le paracletos grec de l’évangile de Jean, l’Esprit-saint, pas consolatio. Ainsi la consolation, le consolamentum en latin ou consolament en occitan, désignait pour les cathares le véritable baptême chrétien : le baptême dans l’Esprit Saint par imposition des mains. Ils utilisaient donc ce vocable par opposition au baptême d’eau des catholiques. En effet, pour les cathares, le baptême d’eau n’était pas le baptême chrétien, mais un rite instauré par Jean-Baptiste, non par le Christ.

58 Annette Pales-Gobilliard, Livre des sentences de Bernard Gui, Paris, CNRS éditions, 2002, p. 327.

59 Doat XXV, f° 144 r°. Traduction Jean Duvernoy.

60 Confession des péchés.

61 Ms. Lat. 4269, f° 26 r°. Traduction Jean Duvernoy.

62 Jean Duvernoy, Le registre d’inquisition de Jacques Fournier, Paris, Bibliothèque des introuvables, 2006, p. 998.

63
 Jean Duvernoy, Le registre d’inquisition de Jacques Fournier, Paris, Bibliothèque des introuvables, 2006, p. 984.