Réflexions sur Le Notre Père en occitan médiéval par Pierre Authié de Carcassonne

Le Pater est la prière essentielle dans le christianisme puisqu’elle a été donnée par Jésus lui-même à ses apôtres. Les cathares, purs chrétiens, réservaient même cette prière à leurs seuls Parfaits à l’exclusion des simples croyants qui eux devaient se contenter du « Paire Sanct ».
Elle est transcrite dans l’évangile de Matthieu et a donné lieu à bien des traductions. Les Eglises catholique, protestante et orthodoxe l’ont codifiée afin que les fidèles de chaque confession puissent la réciter de manière unanime.

Or, il est intéressant de voir comment les « bons chrétiens » cathares l’avaient traduite en occitan. En effet, on peut supposer que la version occitane datée approximativement de 1250-1280 n’a pas, ipso facto, subi 800 ans de modifications. Comme par ailleurs les Bonshommes disaient qu’ils venaient en droite ligne des premiers apôtres, l’on est en droit de penser que le texte occitan a été traduit à partir d’un Evangile primitif, même si la version de la Vulgate est celle qui semble unanimement retenue.
Cela ne veut pas dire non plus que ce « nouveau testament à l’usage des cathares » soit absolument authentique, autrement dit qu’il traduise fidèlement la pensée cathare! il est quand même surprenant de constater que les 3 ou 4 documents “authentifiés cathares” sont datés postérieurement à la chute de Montségur alors que depuis près de 2 siècles, chaque Parfait se baladait tranquillement avec son Nouveau Testament en occitan à sa ceinture ! Les autodafés ont vraiment bien rempli leur office!

Cela étant, voici en tout cas la version du Pater tirée de l’Evangile de Matthieu en occitan médiéval éditée par Léon Clédat en 1888 et mise à la disposition de tous par Jean Duvernoy sur son site internet.

6.9 Le nostre Paire que es els cels, sanctificatz sia lo teus nom,
6.10 avenga lo teus regnes e sia faita la tua voluntatz aisi co el cel et e la terra.
6.11 E dona a nos oi le nostre pa qui es sobre tota causa.
6.12 E perdona a nos les nostres deutes, aisi co nos perdonam als nostres deutors.
6.13 E no nos amenes en tentatio. Mais deliura nos de mal.

Replaçons tout d’abord cette prière dans son contexte :
Les versets précédents (matt 6.1 à 6.9p) traduits de l’occitan sont au mot près la traduction qu’en donne Louis SEGOND ( dont la traduction des textes bibliques est reconnue quasi unanimement par les églises chrétiennes) qui écrit :

6.1 Gardez-vous de pratiquer votre justice devant les hommes, pour en être vus; autrement, vous n’aurez point de récompense auprès de votre Père qui est dans les cieux.
6.2 Lors donc que tu fais l’aumône, ne sonne pas de la trompette devant toi, comme font les hypocrites dans les synagogues et dans les rues, afin d’être glorifiés par les hommes. Je vous le dis en vérité, ils reçoivent leur récompense.
6.3 Mais quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta droite,
6.4 afin que ton aumône se fasse en secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.
6.5 Lorsque vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites, qui aiment à prier debout dans les synagogues et aux coins des rues, pour être vus des hommes. Je vous le dis en vérité, ils reçoivent leur récompense.
6.6 Mais quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dans le lieu secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.
6.7 En priant, ne multipliez pas de vaines paroles, comme les païens, qui s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés.
6.8 Ne leur ressemblez pas; car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez.
6.9 Voici donc comment vous devez prier:

Inutile donc d’en donner la version occitane, chacun pourra la retrouver sur le site de J. DUVERNOY.

En revanche les versets 6.14 et 6.15 qui suivent le Pater Noster méritent une analyse plus fine car l’occitan établit une nuance entre les « offenses » puisqu’il fait la différence entre peccatz et forfaitz :

6.14 Quar si perdonatz als homes los peccatz de lor, perdonara a vos lo vostre Paire los vostres forfaitz.

6.15 Mais si no perdonatz als homes les lors peccatz, no lo vostre Paire no perdonara a vos los vostres peccatz.

A ce « détail » près sur lequel nous reviendrons, la traduction de SEGOND est parfaitement recevable quand il traduit :

6.14 Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi;
6.15 mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos offenses.

Venons en maintenant à la prière elle-même, que « tout le monde » connaît :
La traduction SEGOND est loin de correspondre à la version médiévale du rituel cathare qui semble devoir être traduite ainsi :

6.9p Notre Père qui es aux Cieux,

6.10 que soit sanctifié ton Nom, que vienne ton Règne et que soit faite ta Volonté, selon ce qu’il en est au Ciel, qu’il en soit [de même] sur la terre.
La signification est tout autre que ce que l’on peut entendre à la messe.

6.11 Et donne nous aujourd’hui notre pain qui est au dessus de toute chose

(ou de toute cause, car « causa » en occitan veut dire indifféremment « cause » ou « chose » ce qui est d’autant plus extraordinaire au cas particulier.)

6.12 Et pardonne nos manquements selon ce que nous-mêmes pardonnons aux auteurs de manquements à notre égard.

(le mot « deute » veut bien dire dette en français mais en règle générale, dette se dit deuta et débiteur se dit deuteire ou deutenièr, l’emploi du mot « deutors » peut conduire à ne pas traduire deute par dette, formulation sans doute trop réductrice.
De même, pour traduire “asi co” , “selon ce que” semble préférable à “comme” car dans ce dernier cas on ne traduit qu’un terme de comparaison et on omet un terme de réciprocité.
En traduisant “asi co” par “selon ce que” on comprend mieux le verset 6.10 car le Royaume des Cieux ne peut en aucun cas être “comparable” à notre existence terrestre mais c’est vers cet Inaccessible qu’il faut tendre.
Quant au verset 6.12 il montre à l’évidence que le Pardon Divin est incomparablement plus grand que celui qui incombera jamais à notre misérable humanité. Ce qu’expliquent les versets 6.14 et 6.15 :

6.14 Car si vous pardonnez aux hommes leurs peccadilles, le Père vous pardonnera vos fautes graves ;

6.15 mais si vous ne pardonnez pas aux hommes leurs peccadilles, le Père ne vous pardonnera [même] pas vos peccadilles.

il faut d’abord pardonner aux autres pour que le Père soit miséricordieux envers nous.

Alors que l’occitan emploie trois mots différents, « deutes, peccatz, et forfaitz » pour exprimer ce que SEGONG et le rituel chrétien ont traduit par « offenses », la moindre des choses est d’essayer de rétablir le sens voulu par le rituel cathare ! Car les trois mots ont une sorte de hiérarchie dans l’échelle des « non-valeurs ». La phrase montre bien que nous ne sommes plus dans le « donnant-donnant » de la Loi du Talion. La Règle a changé, Le Père applique la Loi du “Pardonnant-Pardonnant » et le peu de bien que l‘on peut faire ici-bas à autrui nous sera rendu au centuple.

Reste à traduire le dernier verset de la Prière qui n’est pas le plus facile à expliciter :

6.13 Et ne nous amène pas dans la tentation mais délivre nous du mal.

Ainsi, sur le plan littéral, je ne pense pas avoir « trahi » le texte occitan, mais je peux me tromper, et les occitanistes pourront volontiers m’apporter leurs corrections.

Du point de vue de la rythmique, puisque l’occitan possède l’accentuation tonique inconnue du français, la prière en occitan me paraît plus harmonieuse qu’en français et doit se rapprocher de la rythmique poétique du grec ancien.
Le dona a nos du verset 11 et le perdona a nos du verset suivant doivent, à notre sens, être conservés en français c’est pourquoi il peut sembler malencontreux de traduire par « remets nos dettes » le début du verset 12.

Comme les versets 14 et 15 donnent l’explication du verset 12, il est dommage que le verset 13 n’ait pas été aussi bien expliqué car c’est lui qui soulève le plus de problèmes.
Le Dieu Bon a bien le pouvoir de nous délivrer du Mal, mais à quel moment ? “Quand on a l’Entendement du Bien” disaient les Parfaits et cela explique que seuls ces derniers pouvaient « se permettre » cette prière ;

Mais ce même Dieu de Bonté a-t-il une « quelconque autorité » ici-bas pour nous éviter la Tentation ?

Faut-il en conclure que cette autorité ne peut agir que sur un Parfait ?

Une dernière remarque significative :
Dans Matthieu 6.24 il est dit :
« Vous ne pouvez servir Dieu et Mamon »
Le texte occitan, moins hypocrite et plus direct dit :
« no podetz a deu servir e az aver » (vous ne pouvez servir Dieu et avoir de l’avoir)

ce que l’on serait « tenté » de traduire :
« vous ne pouvez servir Dieu et avoir du bien » parce que de nos jours, avoir de l’avoir, c’est bien évidemment avoir du bien, au soleil surtout !

Mais en réalité, pour faire le bien, il faut donc commencer par se défaire de ce bien-là;

Pendant des siècles, dans nos villes, dans nos campagnes, les vrais chrétiens, les Bonshommes et Bonnes Femmes l’ont démontré tous les jours.

En définitive, comme par hasard, il est curieux de constater que, transposé dans les différents dialectes régionaux, le Notre Père aujourd’hui le plus proche du texte cathare médiéval est le texte en languedocien qui dit :

Paire de Cèl, Paire nòstre,
sanctificat lo teu Nom!
Fai avançar ton Reialme
ta Volontat sus la tèrra
coma se fa dins lo Cèl !
Lo tròç de Pan del Besonh,
balha-lo-nos cada jorn.
Perdona-nos a nosautres,
que perdonam atanben
als que nos an fach quicòm.
Desliura-nos de l’Espròva,
desliura-nos de çò Mal.
Amen.
Père du ciel, Notre Père,
Que ton nom soit sanctifié,
Fais progresser ton Royaume
Ta Volonté sur la terre
comme elle se fait dans les Cieux!
Le bout de pain du Besoin (au sens spirituel!)
donne-nous-le chaque jour.
pardonne-nous à nous-mêmes
ce que nous pardonnons aussi
à ceux qui nous ont fait quelque chose
délivre-nous de l’Epreuve (cette existence terrestre!)
délivre-nous de ce qu’est le Mal
Source: Notre Dame de Fatima : prières