À la mémoire de Raymond Issaura de Larnat

Dans le courant de Février 1308, Raymond Issaura, jeune homme d’environ 18 ans part de Larnat à Montaillou à la recherche d’un Parfait qui pourra consoler Azalaïs Gouzy qui était mourante. Le chemin à parcourir passe par Sinsat, les Cabannes, Luzenac puis monte raide par Unac, Caussou et le col de Marmare, Prades et enfin Montaillou soit près de trente kilomètres de marche pénible que le jeune homme devait accomplir d’un bon pas en environ 4 heures !

Il arrive donc à Montaillou et chez le père Maury il trouve le Parfait Raymond Fabre, dit Raymond de Coustaussa puisqu’il était originaire de ce village de la haute vallée audoise. Pour la petite histoire, ce Bon Homme aurait été le seul parmi les Parfaits de la dernière heure (période de 1300 à 1321) à renier sa foi devant l’inquisiteur par crainte du bûcher.

Raymond Fabre fait savoir à Raymond Issaura que malheureusement il ne peut pas se rendre avec lui à Larnat car il doit aller consoler quelqu’un dans le Razès (la région de Rennes le château, c’est à dire la direction opposée) mais il lui indique la présence d’un autre Parfait à Ax chez une dénommée Sibille Baille. Cette dernière est une croyante fort riche qui aide ostensiblement les cathares.

Voilà donc notre Raymond Issaura qui repart en direction d’Ax distante d’une bonne quinzaine de kilomètres par le col du Chioula et Sorgeat ! Heureusement c’est beaucoup de descente ! Arrivé aux alentours de minuit chez Sibille Baille il trouve en effet le Parfait Philippe de Coustaussa, originaire du même village que Raymond Fabre. Ce dernier consent à l’accompagner. Après quelques heures de repos bien méritées, Raymond repart avec son Parfait en direction de Larnat.

Bien que n’ayant lui même guère plus d’une trentaine d’années, le Parfait Philippe n’a pas la foulée de son jeune guide, à tel point que le jour les surprend alors qu’ils sont à peine à Unac ! soit environ 5 heures pour faire 12 kilomètres !

Le jour levé, le voyage devient plus périlleux encore puisqu’ils arrivent aux Cabannes à l’heure du déjeuner (un simple morceau de pain !) soit encore 4 heures environ pour faire à peine une dizaine de kilomètres !

Quand ils arrivent près de Sinsat, 3 kilomètres plus loin et que Philippe de Coustaussa voit le chemin qui lui reste à accomplir et surtout le clocher de Larnat qui se dresse 440 m plus haut, ses forces l’abandonnent, il demande à Raymond de partir devant et lui préférant monter à son rythme ! Le jeune homme laisse donc le Parfait et gravit le rude chemin à son allure.

Malgré cela, quand il pénètre dans la maison d’Azalaïs Gouzy, celle-ci est déjà morte.

On peut s’interroger sur la véracité du récit car cette mention avait le mérite de soustraire la personne décédée à une exhumation et une crémation posthume. Tout bien considéré, il semble bien que la faiblesse du Parfait ait été exagérée uniquement pour allonger la durée du voyage et rendre ainsi plausible le fait qu’Azalaïs n’ait pas pu être consolée à temps. Philippe de Coustaussa, malgré ses jeûnes et ses privations devait en effet avoir l’habitude des longues marches dans nos montagnes ariégeoises ; ces « temps de parcours » ont donc pu abuser les inquisiteurs qui ne connaissaient certainement pas bien la région).

Raymond Issaura termine son récit en précisant que Philippe de Coustaussa est arrivé fort tard dans l’après midi ce jour là et qu’il lui fallut rester 3 ou 4 jours à Larnat pour récupérer !

Quelques temps plus tard, vers octobre 1308, Raymond Issaura retourne à Montaillou chercher un Parfait, cette fois dans le but de donner une bonne fin à sa propre mère, gravement malade. Quand il arrive à Montaillou il apprend qu’il n’y pas de Parfait dans le village mais qu’à Junac il en trouverait un chez les frères Marty. Il repart aussitôt pour Junac et trouve ou retrouve le Parfait Philippe de Coustaussa qu’il emmène de nuit à Larnat. Sa course solitaire jusqu’à Montaillou était donc inutile puisque Junac est dans la vallée de Vicdessos en contrebas du col de larnat appelé aussi col de Miglos. On peut donc également émettre quelque doute sur la véracité du récit, en particulier, on s’explique difficilement qu’un « passeur professionnel » comme Raymond Issaura ignore l’endroit où pouvait se trouver Philippe de Coustaussa alors qu’il était beaucoup plus près de Larnat que de Montaillou. A Montaillou en revanche on était bizarrement au courant de la cache du Bon Homme.

Ici encore il s’agit d’allonger la durée du voyage pour abuser les inquisiteurs et donner ainsi plus de crédibilité au fait que lorsque le Parfait et son guide arrivent à Larnat, la mère de ce dernier avait cessé de vivre, échappant alors au consolamentum et par là même à une déshérétication posthume ! En tout cas le périple de cette journée a paru parfaitement vraisemblable à Geoffroi d’Ablis qui l’a consigné dans ses registres.(1)

Car le jeune Raymond, tout comme ses deux frères Pierre et Guillaume, était effectivement un passeur comme ceux que la dernière guerre a connus, lui, accompagnant les Parfaits vers les croyants qui voulaient avoir une bonne fin, eux, essayant de soustraire aux persécutions nazies les pauvres gens désirant trouver un refuge plus sûr de l’autre côté des Pyrénées.

L’un comme les autres étaient portés par un idéal à toute épreuve et, à sept cents ans d’intervalle, vivaient les mêmes dangers ; beaucoup ont été victimes de leur excès de générosité. L’Histoire se répète, il y a toujours des oppresseurs et des opprimés, des persécuteurs et des persécutés et la folie meurtrière des uns poussent les autres à des actes de don de soi et de bravoure dont ils ne se seraient jamais crû capables.

Le devoir de mémoire envers toutes les victimes de la dernière guerre mondiale est tout à fait louable, mais il faut aussi avoir une pensée pour ces hommes et ces femmes qui, il y a 7 siècles ont été persécutés, torturés, incarcérés et souvent jetés dans les flammes parce qu’ils aspiraient simplement à une Eglise d’Amour !

Alors, automobilistes qui revenez du Pas de la case et qui traversez Sinsat à 50 Km/h (limitation de vitesse oblige!) levez les yeux vers le petit village perché tout au dessus et souvenez vous de Raymond Issaura, lui et beaucoup d’autres méritent votre gratitude et votre admiration!

(1) Il est également intéressant de noter que Raymond fait tout pour démontrer que les croyants n’ont pas pu être hérétiqués à temps alors que son frère Pierre n’a aucun scrupule, dans ses dépositions des 16 août 1308 et 12 avril 1309, à mentionner que leur autre frère Guillaume a bel et bien reçu le consolamentum du Parfait Amiel de Perles. Les textes de l’inquisition traduits par Jean Duvernoy et mis gracieusement à la disposition de tous (qu’il en soit remercié!) sur son site montrent que le petit village de Larnat était à cette époque “un nid d’hérétiques” avec plusieurs générations de croyants, la famille Issaura en étant l’exemple type. D’autres villages comme Junac, Luzenac, Quié, Montaillou etc.. étaient aussi remplis de croyants et les Parfaits y trouvaient toujours des abris sûrs pour exercer leur mission apostolique, en dépit des menaces et des sanctions inquisitoriales.

Les textes manquent pour prouver que tout le Sabarthez était à ce point “contaminé” mais on peut raisonnablement l’affirmer sans trop de risques, en raison du fait que les comtes de Foix ont été sinon cathares (il semble à peu près certain que Roger Bernard III de Foix ait reçu le consolamentum de Pierre Authié à sa mort survenue à Tarascon en 1302) du moins très tolérants pour l’ Eglise des Bons Chrétiens. Les cathares, Parfaits et simples croyants devaient mener jusqu’en 1302 une existence paisible qui transparaît même dans leurs dépositions qui relatent pourtant des faits postérieurs.

Comment donc s’organisait la vie dans le Sabarthez entre 1250 et 1300? Voilà, entre autres, ce que notre association veut tenter de découvrir. A cet égard, nous comptons beaucoup sur la contribution des lecteurs qui pourront nous fournir des pistes d’études intéressantes et des renseignements sur l’existence de documents ou objets dont ils auraient connaissance.