Le catharisme en Tarn et Garonne, textes de Ruben Sartori

Curieusement, le Tarn-et-Garonne, semble être le département le plus oublié en ce qui concerne l’histoire du catharisme, pourtant il en fut un des plus hauts lieux.

Le département se trouve au cœur de la conjonction de trois Églises cathares : l’Église de l’Agenais qui se trouvait du côté d’Auvillar, de Moissac et de Lauzerte ; l’Église de l’Albigeois qui était implantée sur les causses et les gorges de l’Aveyron, de Caussade à Caylus et de Saint-Antonin-Noble-Val à Bruniquel ; enfin, l’Église du Toulousain qui tenait les plaines de part et d’autre de la Garonne et du Tarn : Castelsarrasin, Monclar, Montauban, Verdun-sur-Garonne… C’est d’ailleurs ici, aux confins de ses trois Églises cathares, en Lomagne et Quercy vert, que s’acheva au début du XIVe siècle l’ultime ministère des derniers bons-chrétiens occitans connus : celui de l’ancien Pierre Authier et de ses compagnons. En effet, c’est dans une borde près de Bouillac, à proximité de Verdun-sur-Garonne que Pierre Authier fut finalement capturé par l’inquisiteur Geoffroy d’Ablis. Mais c’est dans les bois de Marnihac, dans les environs de Monclar-de-Quercy, qu’un de ses ordonnés, le parfait Pierre Sans, échappa à la rafle de l’inquisition qui venait de capturer son ancien. Il poursuivit son ministère avec son novice Pierre Fils. Ces deux derniers ministres cathares ne furent jamais pris (du moins, autant qu’on le sache) malgré le démantèlement de leur réseau par l’implacable inquisiteur Bernard Guy. Celui-ci condamna sévèrement une cinquantaine de leurs croyants au sermon du 7 Mars 1316.

C’est dire si l’implantation du catharisme y fut particulièrement profonde et tenace. En tous cas bien plus que ne peuvent le laisser accroire les quelques documents qui nous sont parvenus.

Les premières informations concernant directement notre aire géographique, proviennent des chroniques de la croisade. Elles nous donnent surtout à connaître les faits militaires et nous renseignent fort peu sur le catharisme lui-même. Il faut attendre 1241, pour avoir enfin quelques indications sur le catharisme avec le registre des pénitences de l’inquisiteur Pierre Cellan. Ce dernier auditionna 622 personnes dans plusieurs villes du diocèse de Cahors : Moissac, Montauban, Montpezat, mais aussi Montcuq (Lot) et Gourdon (Lot). Cependant, les consignations des auditions sont déconcertantes. Elles se bornent à recenser les délits en lien avec l’hérésie sans indication de date, et curieusement, rares sont les parfaits cités par leur nom. De fait, le document nous prive de repères chronologiques et nous renseigne fort peu sur l’identité des parfaits. Malgré cela, le document nous donne des indications précieuses. Il nous révèle la population croyante et l’activité des ministres de l’Église cathare. On les voit prêcher, partager le pain bénit, consoler les mourants et surtout on les voit à l’œuvre partout.

En 1243 et jusqu’en 1247, un nouvel inquisiteur, Bernard de Caux, enquête bien plus minutieusement entre Agenais et Toulousain, mais il nous est parvenu seulement les dépositions de 30 personnes (de Castelsarrasin et de Villemur principalement). Les dépositions consignées sont riches d’informations mais ne sont qu’un fragment de l’œuvre accomplie. Enfin, l’inquisiteur Pons de Parnac qui opéra un peu partout entre 1273 et 1280, fait mention d’une centaine de dépositions mais une vingtaine seulement concernent notre aire géographique. Il s’agit principalement d’habitants de Caylus et de Saint-Antonin mais aussi de Lafrançaise, de Molières et de Montauban. Malheureusement la plupart de ces dépositions sont peu prolixes. Après, nos sources s’arrêtent là, car ce sont les seules sources rendues disponibles au grand public, grâce aux traductions qu’en a faites Jean Duvernoy. Qu’il en soit vivement remercié. Nous savons que d’autres registres de l’inquisition contiennent des informations importantes pour notre sujet et nous les mentionnons en fin d’article à tout hasard. Le reste de nos informations est glané dans les ouvrages des historiens du catharisme dont la liste est indiquée en fin d’article.

Les événements de la croisade de 1209

La croisade ne débuta pas dans l’Hérault par le carnage de Béziers mais dans le Tarn-et-Garonne, par la prise du castrum de Puylaroque. En effet, alors que le gros de l’ost croisé se rassemblait sur le bord du Rhône à Valence, d’autres croisés auvergnats, périgourdins et quercynois menés par l’archevêque de Bordeaux, Guillaume Amamieu, attaquaient le nord du comté de Toulouse par l’ouest depuis Agen. Ils se dirigeaient tout droit vers le castrum de Puylaroque en Quercy. En même temps, d’autres croisés menés par l’évêque du Puy, prenaient en cisaille le nord du comté de Toulouse par l’est. Ces derniers débouchèrent dans le Rouergue et traversèrent le Quercy en se contentant de rançonner le pays effrayé. Pour éviter le sac et les massacres associés, les castra de Saint-Antonin et de Caussade durent verser force deniers. Ces croisés firent finalement leur jonction avec les croisés d’Amamieu qui assiégeait Casseneuil (Lot-et-Garonne). Entre temps les croisés d’Amamieu avaient pris de force le castrum de Gontaud (Lot-et-Garonne) et avaient mis à sac Tonneins (Lot-et-Garonne).

Devant cet afflux de renforts, les assiégés de Casseneuil négocièrent. Ils obtinrent la vie sauve en échange des hérétiques qui furent brûlés séance tenante. Forts de leur succès, les croisés se dirigèrent alors vers Villemur (Haute-Garonne). Quand, après une longue journée de marche, les croisés arrivèrent en vue du castrum de Villemur, ils virent le ciel rougeoyer de flammes. Villemur brûlait. Les habitants convaincus du massacre qui s’annonçait, résolurent d’abandonner les lieux et mirent le feu à leur ville, afin de ne pas laisser aux croisés le bénéfice du pillage.

Ces événements, nous pouvons les situer au mois de juin 1209, précisément entre le 28 mai – grâce au testament (daté du 27) que fit le comte d’Auvergne Guy II à la veille de son départ – et le brûlement de Villemur, datable au soir du 22 juin 1209. Ces incursions des croisés qui sévissaient au nord de son comté, suivies de la menace de l’impressionnante armée croisée qui se rassemblait incitèrent sans doute Raimond VI à se réconcilier avec l’Église romaine, à Saint-Gilles le 18 juin, et à prendre la croix le 22 juin. Ce 22 juin qui voyait les troupes croisées arriver à Villemur, castrum qui se trouvait au cœur du comté, à une journée de marche de Toulouse…

On peut aussi penser que cette attitude passive face aux incursions croisées des vassaux du comte de Toulouse, trahit certainement la ligne politique de ce dernier. Raimond VI, visiblement, tenait absolument à éviter la guerre par la diplomatie. Aussi rechercha-t-il le moyen de ne pas répondre aux agressions des croisés pour ne pas entrer en conflit, préférant faire le gros dos pour éviter l’irréparable. Ce qui peut expliquer la totale impunité des croisés en ces terres. Raimond VI n’a rien entrepris pour les combattre directement.

Quoi qu’il en soit, avec son engagement dans la croisade, Raimond VI mettait ses terres sous protection du pape, elles devenaient inattaquables. De fait, à partir de ce moment là, on n’entend plus parler des croisés menés par les prélats de Bordeaux et du Puy. Ils ont certainement pris le chemin du retour, ils n’avaient plus le droit d’opérer sur le territoire du comte de Toulouse. De toute façon, ils n’étaient plus très loin de la fin de leur “quarantaine” qui les autorisait, contrat rempli, à rentrer en leur foyer.

La question de Puylaroque

Puylaroque, tête de cible de la croisade, ne laisse pas d’étonner. Pourquoi une véritable petite armada de croisés prit-elle pour cible ce modeste castrum et s’en retourna-t-elle ensuite en Agenais, ravager trois autres castra du comté de Toulouse ?

Il est significatif de constater que les croisés prirent pour cible les fiefs hérétiques les plus notoires. Puylaroque en tête de liste, manifestement, même si cela semble à première vue moins évident que Casseneuil ou Villemur. Casseneuil, parce que nous savons que sa reddition en 1209 fut suivie d’un bûcher collectif d’hérétiques, sans autre précision, et que par la suite, il fut une seconde fois l’objet d’un siège par Simon de Montfort en personne en 1214. Siège qui se solda plus tragiquement encore que le premier, puisque tous les habitants furent passés au fil de l’épée et que la ville fut incendiée. Le moine Pierre des Vaux de Cernay, chroniqueur de la croisade, en disait ceci : “C’était un des plus importants foyers d’hérésie et un des plus anciens […] Les habitants étaient, en majorité, hérétiques […]“. Quant au castrum de Villemur, les dépositions faites devant l’inquisition nous renseignent fort bien. Avant la croisade, il contenait un grand nombre de maisons cathares qui abritaient plus d’une centaine de parfaits et parfaites. Une d’entre-elles était tenue par le diacre Raimond Aymeric, de l’Église du Toulousain. En fait, tous les habitants de Villemur “étaient croyants ou amis des hérétiques“[1] et en particulier la noblesse.

Pour Puylaroque, nous sommes bien moins renseignés. Si le registre des pénitences de Pierre Cellan nous livre les auditions de personnes habitant dans tous les alentours de Puylaroque – par exemple des habitants de Mazerac qui sont à une demi-heure de marche de Puylaroque à peine – aucune ne concerne un habitant du castrum de Puylaroque lui-même.

C’est un fait intriguant. Que faut-il en penser ? On sait que l’inquisiteur Guillaume Arnaud et son confrère Pierre Cellan, enquêtaient dans le diocèse de Cahors en 1235. On sait aussi que Guillaume Arnaud fut assassiné à Avignonet en 1242 et que son registre, contenant les auditions, finirent par atterrir entre les mains de l’Église cathare pour disparaître à tout jamais. Disparition qui réjouit si fort un croyant de Castelsarrasin qu’il s’exclama : “cocula carta es trencada” (ce foutu livre est taillé en pièces).

On peut penser que les habitants de Puylaroque furent auditionnés par Arnaud et Cellan à cette époque-là et que quelques temps après, en 1241, Cellan passa au peigne fin les alentours, comme on peut le constater dans son registre. Ce qui peut expliquer le silence des sources en ce qui concerne Puylaroque.

En tous cas, les registres de Cellan et de Bernard de Caux révèlent la forte présence de parfaits particulièrement actifs et un tissu serré de croyants dans les alentours de Puylaroque, pour les années 1230-1255. Le triangle Puylaroque-Caussade-Montpezat se révèle même être un véritable “nid d’hérétiques”, comme nous allons le voir.

Mais auparavant, revenons encore à Puylaroque du temps de l’expédition croisée de 1209. Nous pouvons penser que Puylaroque a été abandonné à la vue des croisés, puisque la Chanson nous dit que l’ost des croisés n’y “trouva pas de résistance“. Malgré la ceinture de ses murailles sur un promontoire avantageux, Puylaroque ne devait pas être de taille à s’opposer aux croisés. On préféra donc abandonner la place et sans nul doute, faire évacuer les bons chrétiens qui, fort probablement, y vivaient.

Cette attitude fut en tous cas la décision des gens de Villemur quand, quelques jours plus tard, ils furent confrontés à la même situation. Comme nous l’avons vu, les gens de Villemur, incendièrent leur ville à la vue des croisés, pour les priver du pillage, et abandonnèrent les lieux. En même temps, le diacre Raimond Aymeric faisait évacuer le castrum à ses chrétiens et chrétiennes. Le fait nous est connu par la déposition d’Arnaude de Lamothe, parfaite repentie, qui vécut ces événements. Devant l’inquisiteur Ferrer elle confessa que quand “les croisés entrèrent dans le pays. Pris de peur, le diacre Raimond Aymeric quitta Villemur avec tous les hérétiques, hommes et femmes“. De fait, la prise de Villemur, déjà en cendres, ne se solda pas par un bûcher d’hérétiques. Si le siège de Casseneuil n’avait pas été suivi par un bûcher et si l’évacuation des cathares de Villemur n’avait pas été narrée par Arnaude de Lamothe, nous ne pourrions pas savoir que Casseneuil ou Villemur était d’importants fiefs cathares. Or, c’est précisément le cas de Puylaroque. Son évacuation n’a pas donné lieu à un bûcher et aucune déposition d’un habitant de Puylaroque ne nous est parvenue.

Mais, faisons une petite parenthèse au sujet de l’évacuation de Villemur par les bons-chrétiens. On peut en effet, regretter que l’Église cathare n’ait pas toujours eu le bons sens de Raimond Aymeric qui préféra s’exiler plutôt que de se laisser enfermer dans les murs et prendre ainsi, le gros risque de tomber avec eux. L’exemple de Casseneuil n’y était certainement pas étranger.

Si à Casseneuil les cathares préférèrent rester en les murs, c’est probablement dû en la confiance qu’ils avaient de ses murs et de ses défenseurs. En effet, Pierre des Vaux de Cernay nous indique à l’occasion du second siège que “Beaucoup […] s’étaient assemblés dans la ville parce qu’elle était très fortifiée”. Quant au premier siège, la Chanson, nous dit que la ville était défendue par “beaucoup d’archers” et par “beaucoup de bon chevaliers”.
Ce formidable site fortifié dans un méandre du lot, et sa garnison devaient paraitre suffisamment forts et sûrs. Mais la croisade démontra, qu’aucun site, aussi fort soit-il, ne se révéla inexpugnable. Ne dit-on pas que chaque noix, à son casse-noix approprié ? C’est ce que furent les machines de siège des croisés pour les forteresses occitanes.

On ne peut rien affirmer, mais on peut supposer que Puylaroque devait être un fief cathare comme Villemur ou Casseneuil. Parfaits et Parfaites devaient y tenir publiquement maison, et ceci en nombre suffisamment conséquent pour disposer, comme à Villemur, d’un diacre particulier. Car ce diacre est attesté à quelques enjambées de Puylaroque vers 1230, qui, comme nous le verrons, tenait encore maison à Somplessac.

Ce fait et la date sont très significatifs. Ils se situent juste après “la paix du Comte” de 1229 qui fut un tournant terrible pour l’Église cathare. Raimond VII s’engagea auprès de l’Église romaine et du roi de France, à ne plus protéger les cathares mais au contraire à les pourchasser. Désormais, l’Église cathare ne pouvait plus résider publiquement dans les castra, mais devait entrer dans la clandestinité en se dispersant parmi le petit peuple des villes et des campagnes. C’est ce petit peuple qui prit le relais de la protection de leur Église avec, bien entendu, la complaisance active des seigneurs restés fidèles à cette Église-là. Nous avons vu le cas avec les seigneurs de Villemur, nous verrons aussi le cas de ceux de Puylaroque, de Caussade et de Montpezat, et, brochant le tout, la haute protection de Pons Grimoard, sénéchal du Quercy pour le comte de Toulouse, Raimond VII.

Bref, après 1229 on pria les cathares, de quitter les lieux. Dans la plupart des cas, ils durent se mettre hors les murs, dans les mas environnants. Les dépositions devant l’inquisition des habitants de Gourdon le démontre. Les parfaits qui tenaient publiquement maison durent partir du castrum un jour de pâques. Un de leurs plus fervents croyants, un certain Roques, avoua à l’inquisiteur Cellan qu’il n’avait pu retenir ses larmes en les voyant partir. Cet exil des villes pour s’établir dans les mas environnants, est tout à fait symptomatique. On le verra dans le triangle Caussade, Montpezat et Puylaroque.

Malgré la répression qui s’intensifia avec la mise en place de l’inquisition, l’Église interdite continua à tenir maison dans les mas environnants des castra et désormais de façon clandestine.

Les réseaux de l’Église cathare du triangle Puylaroque-Monpezat-Caussade

Castrum de Puylaroque : Il avait pour seigneur, Aymeric de la Roque qui était aussi seigneur de Montalzat en 1203. On ne sait ce que devint ce seigneur après la croisade. Il est possible qu’il ait été dépossédé ou tué car il n’est plus mentionné. Cependant, on retrouve des “de la Roque” dans tous les environs fortement impliqués dans l’hérésie. Un certain Bertrand de la Roque, interrogé à Montcucq par Pierre Cellan en 1241, avoue avoir reçu dans sa maison les parfaits Guillaume et Guiraud de Caussade. Il avoue encore qu’à Moissac, le parfait Vigouroux de la Baccone lui demanda son escorte. Ce fait démontre que ce Bertrand de la Roque devait être un chevalier. On peut aussi penser qu’il était un seigneur et qu’il disposait de sergents. Ce fait se situe peut-être du temps de la reprise de Castelsarrasin par Raymond VII en 1228. Si c’est exact, Bertrand de la Roque est certainement venu assister son suzerain avec ses hommes.
Autre point symptomatique, des “de la Roque” sont également attestés résidant dans la bastide neuve de Cordes, fondée par Raymond VII en 1222. Le passeur Guillaume Donnadieu d’Elves missionné là-bas, nous indique que les parfaits y tenaient “publiquement leur atelier de tissage”.
La petite seigneurie de Loze près de Parisot, appartenait à un Gaillard de la Roque. Celui-ci se distingua tout particulièrement pour avoir séquestré l’évêque de Cahors, Barthelemy Roux (1250-1273), au fond d’un bois pendant plusieurs jours vers 1264 [2]. Une quinzaine d’années plus tard, en 1279, un Guillaume de la Roque de Montalzat est dénoncé pour avoir “adoré” les parfaits Bernard de la Garrigue et Raimond du Vaux.
Il est possible que ces “de la Roque” soient de la descendance ou de la parenté du seigneur Aymeric de la Roque.
Quoi qu’il en soit, le castrum semble être passé entre les mains de Simon de Monfort et après sa mort sous les murs de Toulouse, son fils Amaury qui ne peut plus tenir les terres conquises par son père, cède ses droits au roi de France en 1224. Puylaroque est dans le lot. En 1259, Raimond de Puycelci fait hommage de la seigneurie de Puylaroque et de Mazerac au nouveau comte de Toulouse, Alphonse de Poitiers. Entre temps nous ne savons pas quand, comment et pour quelle raison ce Raimond de Puycelci en devint le seigneur. Nous ne sommes pas plus renseignés sur le personnage. Tout ce que l’on peut dire, c’est que Puycelci était fortement contaminée par le catharisme. Vers 1238, le fils de l’Église de l’Albigeois, Sicard de Lunel, en tournée avec le diacre Pierre Capelle prêche pour les croyants du lieu dans la maison de Guillaume de Rabastens.
Sur Puylaroque nous n’avons pas d’autre information, mais sur ses environs immédiats nous sommes bien mieux fournis :

– Au mas des Somplessac, à une heure de marche de Puylaroque, se trouvait la cabane du diacre Guillaume de Caussade et de ses compagnon Etienne del Trosèlh et Foulques de Darnagol. Cette cabane se trouvait dans un batut [3] voisin de ce mas qui appartenait à Guiraud et à sa femme Peironela. Tous deux étaient des croyants particulièrement dévoués et sûrs. On les voit accueillir également dans leur propre maison, le fils de l’Église d’Albigeois, Sicard de Lunel, en tournée avec deux autres de ses diacres : Bernard de la Fouillade, diacre de Lavaur (Tarn), et Pierre Capelle, diacre d’Hautpoul (Tarn). Pendant cinq jours, les croyants accourent écouter les prêches et partager le pain bénit des ministres cathares. La date est hélas impossible à déterminer avec exactitude, mais on doit être vers 1240.
Cette cabane de Somplessac est le lieu de résidence attesté de Guillaume de Caussade et de ses compagnons au moins depuis 1237, date de la première mention. C’est également à cette cabane de Somplessac, en 1239, qu’est amené à dos d’âne, Guillaume de Caussade, malade. Guillaume de Caussade y tenait visiblement maison. En 1241 on l’y voit officier l’aparelhament.
Pendant près de vingt ans, Somplessac apparaît comme le centre de rayonnement de l’activité du diacre Guillaume de Caussade. Activité qui s’étendait pile à une cinquantaine de kilomètres, de part et d’autre de Somplessac : de Lauzerte à l’ouest à Cordes (Tarn) à l’est. Somplessac était certainement le siège et la tête de ce diaconé de l’Église de l’Albigeois. On y voit en tous cas beaucoup de diacres et de hauts dignitaires de l’Église de l’Albigeois.

– Au hameau de Mazerac, à une demi-heure de Puylaroque, pile à mi-chemin qui mène à Somplessac, les habitants auditionnés par Pierre Cellan en 1241, révèlent une activité intense des parfaits. De fait, le curé déclare y avoir “vu plusieurs fois des parfaits qui lui ont parlé“[4]. Et les occasions d’en rencontrer ne devaient pas manquer, comme nous venons de le voir au sujet de Somplessac, centre d’allées et venues incessantes ! Remarquons au passage, que ce prêtre ne dit mot à l’inquisiteur du repère des hérétiques de Somplessac qu’il ne peut ignorer. Ce qui en dit long sur la complicité dont jouissaient les parfaits dans tout le secteur. Attitude symptomatique, puisque les croyants interrogés par Cellan confessent l’hérésie au passé, mais de l’hérésie présente, ils ne disent pratiquement rien, le moins possible visiblement.
La prieure du monastère catholique de Lécune (Castelnau-Montratier, Lot) dénoncée pour tenir des propos hérétiques, se révèle être une ancienne parfaite de Mazerac[5]. En rétorsion, Pierre Cellan l’expédia “dans un monastère plus rigide” en 1241 [6].
Mazerac abrite aussi le très actif guide et passeur Guillaume Donnadieu d’Elves. Il fut une première fois interrogé par Cellan vers 1235. Il confessa quelques broutilles. L’inquisiteur lui infligea une pénitence, comme à tant d’autres, mais il le relâcha. Dix années plus tard, probablement au cours d’une nouvelle mission en Lombardie, il est épinglé à Montpellier par l’inquisition, apparemment bien renseignée sur son activité clandestine. Il tente de tout dissimuler, mais cette fois-ci on ne le relâcha pas et on l’expédia à l’abbaye de Lagrasse. Il y est interrogé le 3 mars 1244 par l’inquisiteur Durand et là, il raconte tout. Que lui a-ton fait subir pour qu’il se mette ainsi à table ? Les inquisiteurs Jean de Saint Pierre et Bernard de Caux le cuisinèrent encore deux années avant de le condamner au mur perpétuel, le 8 juillet 1246.
Sa déposition nous donne les noms de quelques parfaits qu’il fréquentait et convoyait : Pierre du Camp, Guillaume, Guiraud et Pierre de Caussade, Grimaud Donnadieu, Sicard de Figueiras, Guillaume de Forcas, Hugues de Maorle… Il nous donne aussi le nom d’un novice de Mazerac, Pierre de Gironda, qui était instruit à Cordes dans la maison de l’ancien Pierre de Caussade.
Guillaume Donnadieu, nous donne également l’aire de ses missions : Cahors, Cordes, Laguépie, Montpezat, Najac, Parisot, Penne, Somplessac près de Puylaroque ainsi que la Pradelle et Maurimont près de Caussade. Il raconte aussi avoir conduit en Lombardie, vers 1229, Garsende de la Garrigue et sa fille Guillelme. Plus précisément, il s’agit de la sœur et de la nièce de Guillaume de Caussade. Celui-ci les avaient expédiées en Lombardie afin qu’elles soient ordonnées parfaites par la hiérarchie de l’Église de l’Albigeois qui s’était refugiée à Crémone[7].
Guillaume Donnadieu raconte également avoir guidé les parfaits Aymeric du Collet, Sicard de Lunel et Guillaume de Caussade, en tournée entre Parisot et Somplessac et qu’ils furent arrêtés par des chevaliers du château de Penne menés par un Français. Arrestation qui ne porta guère à conséquence puisque on les retrouve tous en activité par la suite.

– Au hameau du Soulié (commune de Labastide-de-Penne), à une heure de marche de Puylaroque et de Somplessac, vers 1234, le parfait Guillaume de Caussade et son compagnon, logent dans le donjon du chevalier Pierre de Belfort [8], probablement seigneur de cette petite localité. Ils y rencontrent le sénéchal du Quercy, Pons Grimoard[9].
Trente années plus tard, en cette même localité, une certaine Raymonde Pradier est dénoncée par le faidit Amblard Vassal (que nous retrouverons) comme “croyante des parfaits”. Elle est susceptible de recevoir et d’héberger des parfaits, sans doute Bernard de la Garrigue et son compagnon Raimond du Vaux. Et ce, malgré la terrible répression inquisitoriale, qui fit sans nul doute suite à la volumineuse déposition d’un renégat de marque de l’Église d’Albigeois habitué du lieu, le diacre Sicard de Lunel. Celui-ci dénonça plus de 546 personnes en 1255 ! Il devint même un auxiliaire des inquisiteurs jusque vers 1280.

Le castrum de Montpezat (Montpezat-de-Quercy), sis à trois heures de marche de Puylaroque, fut un véritable “nid d’hérétiques” et le repaire de “protecteurs d’hérétiques” avérés. Il fut aussi un lieu de refuge pour bien de faidits et fugitifs pour hérésie.
Tout d’abord, les dépositions des croyants auditionnés par Pierre Cellan en 1241, révèlent une activité hérétique débordante. Les parfaits y prêchent, partagent le pain bénit avec les croyants et consolent les mourants. On les voit également tenir une disputatio publique avec des Vaudois. Une parfaite y est mentionnée, Huguette Gorses. Elle y tenait visiblement maison[10]. On ne peut dater les faits rapportés, mais ils doivent se situer du temps de la croisade et de la reconquista du comté de Toulouse par Raimond VII. Reconquête qui fit suite à la mort de Simon de Montfort sous les murs de Toulouse le 25 juin 1218. On le sait, à partir de cette date, partout l’Église cathare fut restaurée sur ses anciennes positions. Dix ans de croisades, de massacres et de bûchers n’avaient pu aboutir à son objectif : la destruction du catharisme. Seul, peut-être, le témoignage de la disputatio entre vaudois et cathares renvoie au temps d’avant la croisade de 1209.
En tous cas, Montpezat se montra particulièrement rebelle à la croisade menée par Simon de Monfort. Si en 1211, le castrum s’était soumis à Montfort, il n’en vit pas moins ses murailles arasées par ce dernier. Montfort avait certainement de bonnes raisons pour se méfier de ces gens-là. D’ailleurs, ils se rebellèrent en 1213 quand Pierre II, roi d’Aragon, vint attaquer Simon de Monfort à Muret. Le résultat de la bataille, fut, on le sait, un véritable désastre pour les partisans du comte de Toulouse qui s’était rebellés en nombre. L’année suivante, en rétorsion, Simon de Montfort dut mener une nouvelle campagne de soumission en Agenais et en Quercy qui avait fait volte-face. Alors qu’il se dirigeait à Casseneuil pour y mettre le siège, il ravagea de fond en comble le castrum de Monpezat dont les murailles avait été relevées mais que ses chevaliers avaient prudemment déserté.
Ces chevaliers de Montpezat rebelles à l’ordre français et catholique, la Chanson de la croisade, nous en fait connaître deux, Arainfrès de Montpezat et son frère. Tous deux se distinguèrent au siège de Toulouse de 1217-1218, leurs hommes se battaient au cri de “Montpezat”. Ensuite, en 1219, Arainfrès défendit Marmande mais il y trouva sans doute la mort, dans le massacre qui suivit sa prise.
En fait les Montpezat étaient les seigneurs du castrum de Montpezat depuis la fin du XIIe siècle. En effet, un acte daté du 1er avril 1177 indique que le comte de Toulouse, Raimond V, accorda contre serment et hommage lige, le castrum de Montpezat à Armand de Momtpezat. Le document laisse entendre que le castrum de Caylus alla à son frère Bertrand de Montpezat et celui de Monclar à leur beau-frère, Bertrand de Villemur.
Ces seigneurs ou leur descendance sont sans doute devenus des faidits au moment de la croisade et ils ont dû recouvrir leur terre au moment de la reconquista. En effet, en 1224 Etienne de Montpezat fait hommage de la seigneurie à Raimond VII. Cet Etienne devait être le fils d’Arainfrès, apparemment tué au siège de Marmande en 1219, comme on l’a vu.
En 1240, c’est encore un Montpezat, Armand, qui est attesté comme seigneur du castrum mais ce dernier fut convaincu d’hérésie par l’inquisiteur Jean Vigouroux. “Croyant et receleur d’hérétiques”, il fut condamné au mur et dépossédé de sa seigneurie, vers 1250-1255. Celle-ci fut attribuée à l’évêque de Cahors, Barthelemy Roux (1250-1273). Par la suite, probablement conformément à la directive de l’inquisition qui ordonnait la destruction de toute maison qui avait abrité des parfaits, un évêque de Cahors, Sicard de Montaigut (1294-1300), fit raser le donjon et ses dépendances. Avec les pierres, il construisit à côté “un beau château”.
Ce changement de seigneur fut très significatif, si du temps des Montpezat, le castrum abritait parfaits et faidits proscrits, ce ne fut plus le cas après la possession du castrum par les sergents des évêques de cahors.
Par exemple, vers 1242, le castrum avait recueilli des Bressols. Ces Bressols – probablement famille seigneuriale de Bressols, près de Montauban – sont des croyants particulièrement fidèles, on les retrouve à peu près partout où l’on voit un parfait dans les enquêtes de Bernard de Caux ! Un des leurs, Aymeric de Bressols, certainement le seigneur en titre de Bressols, fut condamné au mur perpétuel le 26 août 1246 et sans nul doute sa seigneurie dut être saisie. Mais vers 1265, le chevalier Amblard Vassal et sa bande de faidits et de fugitifs pour hérésie[11], n’y trouva plus qu’un simple relais indicateur par l’entremise d’un de ses habitants, Durand Delfour et de sa femme Raimonde qui n’hésite pas à faire le guide.
De toute évidence Montpezat était un foyer cathare et un bastion de la résistance à l’ordre français et catholique.
Cependant, vers 1265, malgré les mouchards de l’inquisition et les sergents des évêques de Cahors qui contrôlaient la place, on retrouve encore un bon réseau cathare dans les environs immédiats de Montpezat :

– Au hameau de Ladoux (non identifié), proche de Montpezat, est attesté un agent, un certain Pierre Court, qui se préoccupait, avec les Roset de Montalzat du ravitaillement des parfaits Bernard de la Garrigue et Raimond du Vaux, vers 1260. Le parfait Bernard de la Garrigue est d’ailleurs natif de cette localité. Il est attesté dans le Quercy jusqu’en 1273, mais en 1277 il résidait en Lombardie. Son départ en Lombardie a été certainement provoqué par la capture et l’interrogatoire d’Amblard Vassal par l’inquisition en 1274. Amblard Vassal, c’était un chevalier du Lauragais. Faidit et fugitif pour hérésie, il était venu se cacher en Quercy et bénéficiait de l’entraide des croyants. Sa cavale l’amena à Monpezat, là où exerçait précisément le parfait Bernard de la Garrigue. Ce qui explique certainement pourquoi, on ne le retrouve plus qu’en Lombardie après 1274. Ensuite, nous ne savons ni pourquoi, ni comment, ni pour quelle raison on le retrouve à Carcassonne, déclarer “avoir quitté et abjuré la secte des hérétiques”. Peut-être est-ce en lien avec la grande rafle de l’inquisition italienne à Sirmione où s’était refugié l’épiscopat de l’Église de l’Albigeois et qui se traduisit en 1278 par le brûlement de 200 parfaits.
En tous cas, on le voit retenu dans Carcassonne à la discrétion de l’inquisition. Il fait partie de ses auxiliaires. Pourtant, cela ne l’aurait pas empêché d’assister au consolament d’un croyant du Carcassés, en 1283 ! L’année d’après, il retombe dans les geôles de l’inquisition de nouveau comme inculpé. Il aurait, en sus, comploté la destruction des registres de l’inquisition avec des croyants de Carcassonne ! Nous ne savons pas ce qu’il advint de lui par la suite. Mais quoi qu’il en soit, il dut contribuer à une répression particulièrement efficace de l’inquisition dans ce secteur. Peut-être fut-il l’instrument du coup de grâce de ce vieux diaconé de l’Église de l’Albigeois et du catharisme en général dans le Quercy.

Castrum de Montalzat, à une heure de marche de Montpezat, les frères Bertrand et Pierre de Roset qui vivaient avec leur mère dans une maison sous les murs du castrum, sont dénoncés par le faidit Amblard Vassal. Ce dernierl révèle à l’inquisition qu’ils sont “croyants et amis des parfaits et les reçoivent”. D’ailleurs, l’interrogatoire du chevalier Bernard de Lagarde en 1279, le confirme. Ils étaient des agents particulièrement actifs et dévoués du parfait Bernard de la Garrigue et de son compagnon Raimond du Vaux. Les frères Roset étaient des croyants admirables, outre leurs services auprès des parfaits, ils ont offert le gîte et le couvert aux croyants fugitifs pour hérésie, comme le déclare Amblard Vassal à l’inquisition : “Ces frères Pierre et Bernard, et leur mère, me reçurent mainte fois, et me donnèrent mainte fois, à moi, et à mes compagnons faidits et fugitifs pour hérésie, à manger, sachant que mes compagnons et moi-même étions tels”.
Mais cette famille Roset, sans père connu, est peut-être un exemple de la terrible répression inquisitoriale et en même temps de la fidélité stupéfiante des croyants cathares à leur Église. En effet, en 1242, Pierre Cellan inculpe un certain Arnaud-Bernard de Roset, seigneur de la petite localité de Lagarde (non identifiée) près de Lauzerte. Le père absent de la famille Roset, ne serait-il pas celui-ci ? Si oui, il faut alors constater que la famille fut dépossédée de ses biens et que le père était mort ou croupissait toujours en prison.

Le seigneur du castrum de Montalzat était, comme on l’a vu, Aymeric de la Roque en 1203. Mais la croisade dût amener la déchéance de ce personnage et de sa lignée car vers 1270, un Guillaume de la Roque vivait sans titre, hors les murs, dans le hameau de Penchou (non identifié, peut-être l’actuel la Roque). Il est significatif de prendre note que ce Guillaume avait un lien de parenté avec le chevalier Bernard de Lagarde, fils de Bertrand, qui était l’ancien seigneur de Montalzat. En effet, la seigneurie fut confisquée à ce Bertrand de Lagarde, en 1233 et il fut condamné au mur par l’inquisition. La seigneurie revint tout entière aux évêques de Cahors, ce qui démontre également que les la Roque étaient dessaisis depuis longtemps de leur seigneurie.
Le passeur Guillaume Donnadieu d’Elves qui dépose en 1244 nous apporte des précisions. Il nous confirme que Bertrand de Lagarde était au mur pour hérésie et que son fils Bernard, alors tout jeune homme, servait d’agent à l’Église interdite. Le fils avait apparemment pris le relais de son père malgré le sort funeste réservé à ce dernier. Par la suite, ce Bernard fut encore dénoncé à l’inquisition en 1255 par le parfait repenti Sicard de Lunel. Sa déposition le mentionne comme un assistant assidu aux réunions de l’Église interdite, on le voit en particulier au pied du parfait Guillaume de Caussade au mas de la Pradelle ou de la Lautardie.
Bernard, qui n’a plus que le titre de chevalier, est interrogé par l’inquisition en 1279, peut-être sur la dénonciation du parfait repenti Bernard de la Garrigue. Il reconnait avoir adoré et entendu le prêche de ce dernier et de son compagnon Raimond du Vaux, tous deux actifs dans la décennie 1264-1274. Il avait alors pour beau-frère Guillaume de la Roque, autre croyant attesté comme on l’a vu. Lui aussi adora et écouta les prêches de ces mêmes parfaits.
On ne sait qu’il advint d’eux par la suite.

– Au hameau de la Baraquine, au pied de Montpezat, le faidit et fugitif pour hérésie, Amblard Vassal, dénonce vers 1265-1274, une fratrie de quatre ou cinq frères qui habitaient un mas près de l’église et qui étaient en lien avec les frères Roset. Il les déclara “amis et croyants des parfaits“. Il s’y trouvait également une veuve, une certaine Sibille qui abritait Jean Barrau, fugitif pour hérésie et qui faisait don à l’occasion de quelques victuailles à d’autres fugitifs pour hérésie de passage.

Le Castrum de Caussade, à deux heures de marche de Puylaroque, fut lui aussi un “nid d’hérétiques” et de “protecteurs d’hérétiques”.
Sur l’activité hérétique dans le castrum, nous sommes très mal pourvus. Peu de témoignages nous sont parvenus et ils sont tardifs. La première mention, provient des enquêtes de Pierre Cellan. Nous avons l’écho d’un certain Bernard Teissier et de sa sœur, Stéphanie, condamnés pour avoir abrité chez-eux deux parfaits. La seconde source d’information vient de la déposition du passeur Guillaume Donnadieu d’Elves en 1244, c’est de lui que nous connaissons l’essentiel des choses. Ensuite nous avons une indication provenant d’un livre de compte des inquisiteurs Jean de Saint Pierre et Réginald de Chartres qui opérèrent en Quercy. Ce livre indique qu’en octobre 1255, enquêtant à Caussade, ils envoyèrent au mur de Villemur deux hérétiques de Caussade : Guillaume Trafani et Jean de Laboéres. S’agit-il de croyants ou de parfaits ? On ne peut savoir. Hélas, le livre de leurs enquêtes ne nous est pas parvenu.
Enfin, un précieux fragment de la déposition du parfait converti, Sicard de Lunel, nous donne un complément d’informations particulièrement précis et fiable. C’est lui qui nous apprend que vers 1240 se tenait encore une maison de parfaites dans Caussade même, il s’agissait d’une certaine Meliana et de trois autres compagnes. Elles étaient abritées par Guillaume de Gosinhac qui les couvrait sous son toit. Il nous apprend aussi que “Guillaume de Caussade, Pierre Capelle et Foulques de Darnagol, parfaits, vinrent dans la maison de Raimond de Caussade pour voir Beatrice, épouse dudit Raimond, et Scarogne, la mère du dit Raimond”
Ce Raimond dont il est question ici, était alors le seigneur de Caussade, ce qui prouve combien la famille de Caussade était unanime dans la foi des bons-chrétiens.

Ces quelques dépositions qui nous livrent de maigres indications sur l’activité hérétique dans le castrum de Caussade, nous donnent toutefois l’ampleur de la prégnance cathare dans ses environs. C’est en effet, dans les alentours de Caussade, que se révèle vraiment l’activité de l’Église interdite. Il ne manquait pas de croyants pour héberger les ministres cathares qui desservaient le secteur.
Au mas des Pradelle (peut-être la ferme actuelle du même nom dans la commune de Cayriech), Arnaud de la Pradelle et toute sa famille accueillaient à bras ouverts les parfaits proscrits. On les accueillait aussi au mas de la Lautardie (commune de Saint-Vincent), au mas de la Garrigue (non identifié) où habitaient Bertrand de la Garrigue et sa femme, ou encore au hameau de Maurimont (non identifié) dans la maison de Bernard Hugo.
On y voit l’omniprésent Guillaume de Caussade ainsi que le fils-majeur Aymeric du Collet et ses autres diacres : Bernard de la Fouillade, Sicard de Lunel et Pierre Capelle. L’ensemble doit concerner les années 1229 à 1244. À ces mas, toute la noblesse et le petit peuple de Caussade s’y pressent. Ils viennent écouter les prêches et partager le pain bénit.
Une telle compromission de Caussade avec l’hérésie, n’est pas fortuite. Les coseigneurs de Caussade, Raimond et Ratier de Caussade qui rendent hommage à leur suzerain, Géraud de Barasc, à la fois évêque et comte de Cahors, en 1242, sont pourtant des croyants notoires. Le premier est un croyant avéré, sa famille est dénoncée par le parfait repenti Sicard de Lunel, comme on l’a vu. Le second, Ratier, neveu de Raimond, est le “fils l’hérétique”, c’est-à-dire de Ratier qui fut dépossédé de ses biens par l’inquisition en 1236.

Mais on ne sait quels étaient les liens de parenté entre la famille seigneuriale de Caussade et les ministres de l’Église interdite qui portaient le même patronyme.
Nous savons seulement que Guillaume de Caussade, diacre, avait un frère parfait, Guiraud, qui était actif du côté de Montcuq. Guillaume avait un autre frère, Jauffré. Il résidait à Beaucaire près de Lauzerte en 1241, mais il n’était qu’un simple croyant et il était sans doute un agent de Guillaume[12]. Guillaume avait aussi une sœur parfaite, Garsende (mariée de la Garrigue) qui vivait à Najac. Elle était partie se faire ordonner en Lombardie avec sa fille Guillelme.
On sait également par la déposition de Guillaume Donnadieu d’Elves qu’un certain Pierre de Caussade, sans autre précision, tenait publiquement maison à Najac, puis à Cordes où se trouvait un atelier de tissage de l’Église cathare.

Ce qui est manifeste en tous cas, c’est que les seigneurs de Caussade furent des ennemis acharnés de Simon de Montfort et de la croisade. Ratier de Caussade (celui qui fut dépossédé en 1236) se porta au secours de Toulouse assiégé par le prince du roi de France, le futur Louis VIII, avec d’autres chevaliers de sa vassalité : Raynier de Bone, Pierre fort et Hugues de Monteils. Sûr de ces hommes, Raimond VII confia la défense de la barbacane Matabiau à Ratier et celle de Montolieu à Hugues.

Auparavant, Caussade avait beaucoup souffert de la croisade. En 1209, ses habitants durent payer rançon comme on l’a vu. En 1212, ils firent leur soumission à Simon de Montfort et après la révolte manquée de 1213, le castrum ravagé par Guy de Montfort, passa de nouveau sous le contrôle des croisés en 1214. Ensuite, on ne sait ni quand, ni comment le castrum se débarrassa de sa garnison croisée. Avant 1219 ? Après 1219 ? Ce qui est certain, c’est que bien des castra massacrèrent sur place leurs garnisons croisées aux moments opportuns.
On ne sait non plus ce que devint le statut des seigneurs de Caussade sous l’occupation croisée. Il est tout à fait envisageable qu’ils furent dépouillés de leur terre après leur “trahison” de 1213 et qu’ils connurent une période de faidiment. Le fait semble attesté puisque l’évêque de Cahors, Guillaume de Cardaillac (1208-1235), confisqua la seigneurie de Caussade ainsi que celle de Montpezat). Cet évêque était dans les rangs des croisés en 1211.
Au moment de la reconquista, Raimond VII triomphant partout, leur a certainement restitué leur seigneurie. Mais quelques temps plus tard, les seigneurs de Caussade furent le sujet d’une nouvelle tracasserie. Le traité de 1229 qui imposait des conditions très dures à Raymond VII en échange de la reconnaissance de son titre, amputait les seigneurs de Caussade de toute une partie de leurs droits. Le roi de France ne les avait pas oubliés, il tint à leur faire payer leur soutien au comte de Toulouse.
Encore un dernier mot sur Ratier de Caussade. Il était marié à Escaronhe qui était la fille d’Esclamonde, la fameuse parfaite sœur du comte de Foix, Raymond Roger. Ce qui en dit long sur ses convictions religieuses, les bons croyants se mariant toujours entre eux.
En 1236, les biens de ce Ratier furent confisqués par l’inquisition pour cause d’hérésie. Ils furent attribués à l’évêque de Cahors, Géraud de Brassac (1236-1250). Par la suite les Caussade ne sont plus que seigneurs de Puycornet et on les voit encore possessionnés à Durfort et à Monclar. La seigneurie de Puycornet leur a été peut-être donnée par Raimond VII en compensation de la saisie de leur seigneurie de Caussade, à moins qu’il ne s’agisse, comme Durfort et Monclar, d’une possession familiale à laquelle l’inquisition ne porta pas atteinte. Cependant, le fils de Ratier, qui portait le même prénom que son père, parvint à récupérer la seigneurie de Caussade puisqu’il hommage avec son oncle,Raimond, en 1242 et qu’il signe, en 1248, une charte des coutumes des habitants de Caussade. Mais peu après, cela se gâte de nouveau. En 1252 la seigneurie était entre les mains du nouveau comte de Toulouse, Alphonse de Poitiers. Il venait de récupérer la confiscation de la seigneurie de Caussade à l’évêque de Cahors, Barthelemy de Roux (1250-1273).
C’est donc entre 1248 et 1252 que la seigneurie de Caussade fut confisquée de nouveau “à cause de la perversion hérétique”. D’ailleurs, c’est probablement en raison de cette confiscation que Ratier de Caussade n’a pas d’autre ressource que s’engager dans la 7ème croisade (1248-1250) menée par Saint Louis, peut-être sur ordre de l’inquisition même. En tous cas, il s’y distingua et ses armoiries passèrent à la postérité. Son écu était “d’or à deux houssettes de gueules en pal”.
Mais au retour de la croisade, il ne recouvra pas pour autant sa seigneurie. Au contraire sa situation empira. Les revenus des deux petites seigneuries de Durfort et de Puycornet qu’il partageait avec Raimond, ne suffisaient pas. Son indigence était telle, que le comte Alphonse de Poitiers dût lui attribuer une rente sur ses deniers en 1269, probablement en souvenir de leur péripétie commune durant la croisade.

La décennie 1250 est une période charnière pour le catharisme du quercynois. Elle correspond tout d’abord à la nomination d’un nouvel évêque, qui n’a pas manqué visiblement de vouloir récupérer la confiscation de la seigneurie de Caussade et de châtier des hérétiques notoires. Ensuite, elle correspond aux enquêtes de l’inquisition qui furent initiées par Pierre Cellan en 1241, poursuivies en 1244 par Bernard de Caux et achevées par Jean de Saint Pierre en 1255. Cette date de 1255 correspond également à la déposition minutieuse et volubile d’un renégat de marque de l’Église de l’Albigeois, le diacre Sicard de Lunel. Enfin, cette période marque un changement politique. En 1249, Raymond VII mourut sans descendance mâle et le comté de Toulouse revint à Alphonse de Poitiers, frère du roi Louis IX, qui de toute façon, conformément à la disposition prévue par le traité de Paris, était l’héritier désigné. Alphonse de Poitiers ne couvrit personne, à l’inverse de ce qu’avait fait Raymond VII qui était en lien étroit avec ses vassaux et le catharisme. En conséquence de quoi, la répression de l’Église romaine put s’abattre dans toute sa rigueur.

De ce qui restait de l’hérésie à Caussade et dans ses environs, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, c’est encore le faidit Amblar Vassal qui nous le donne à voir dans sa déposition de 1274 : “étant fugitif pour hérésie et faidit, je fus à Caussade dans la maison de Guillaume Jourdan et de sa femme Guiraude. C’est Pierre de Roumégoux qui m’y amena goûter, de pain, de vin et de fromage. Ladite Guiraude sut qui j’étais, mais je ne sais pas si ledit Guillaume le sut quand j’y étais. Cette Guiraude s’était faite ma commère, et en mon absence avait relevé mon fils en bas âge des fonts sacrés”.
À une petite heure de marche de là, dans la bastide neuve de Septfonds, se trouvait une autre “croyante des hérétiques“, Raimonde de Lacombe, qui le reçoit et lui donne le couvert.
Les pérégrinations d’Amblard Vassal dans tous les alentours de Montpezat et de Caussade, nous donne certainement à voir ce qui restait de l’Église cathare après les coupes franches de l’inquisition. Nous avons ici probablement, l’ultime réseau de croyants, dont l’inéluctable chute dans les griffes de l’inquisition, qui fit suite à ces déclarations à l’inquisition en 1274, entraina sans doute la fuite de Bernard de la Garrigue en Lombardie. C’est là-bas, fort probablement, qu’il devint fils-majeur de l’Albigeois.

Conclusion

Pour conclure ce chapitre, force est de constater que cette prodigieuse activité de l’Eglise cathare dans le triangle Puylaroque-Monpezat-Caussade, n’est pas parvenue aux oreilles des inquisiteurs Pierre Cellan ou Bernard de Caux pour la première moitié du XIIIe siècle.

Si les croyants dénoncent leurs voisins et leur propre famille, personne ou presque, ne dit mot sur les parfaits en activité. Il est particulièrement frappant de voir par exemple, Pierre Cellan auditionner à Mazerac les habitants, alors qu’à quelques enjambées de là se trouvait la cabane de Guillaume de Caussade ! Personne ne dit mot, pas même le curé du lieu ! Cela on le doit sans nul doute à la protection des seigneurs et chevaliers locaux, qui étaient certainement de vieille souche cathare. Face à leurs directives, leurs gens ne devaient pas broncher et de toute façon, comme on l’a vu, la population était largement acquise au catharisme.

Ce lien étroit entre les seigneurs et les parfaits implantés sur leur terre, est parfaitement mis en lumière par le lien de parenté qui unissait les seigneurs de Caussade. Les parfaits et parfaites Guillaume, Guiraud, Garsende et Guillelme de Caussade, attestés dans Caussade même et dans tous les environs, avec d’autres parfaits, comme Hugues de Maorle ou Guillaume de Forcas.

On le voit aussi dans l’entrevue du parfait Guillaume de Caussade avec le sénéchal du Quercy, Pons Grimoard, croyant convaincu. En effet, sa confession devant l’inquisition démontre qu’il était un croyant dévoué et actif. Il fut d’ailleurs inquiété par deux fois par l’inquisition. La première du temps de Guillaume Arnaud vers 1234, l’autre par Bernard de Caux en 1244. Il a couvert, autant que son pouvoir le permettait, ses coreligionnaires et son Église. Il est d’ailleurs pris en flagrant délit à sa deuxième comparution devant l’inquisition qui lui reproche d’avoir rencontré le parfait Guillaume de Caussade et de ne pas l’avoir arrêté sur le champ, comme sa fonction de sénéchal l’exigeait. Il fut pour cela excommunié puis de nouveau réconcilié au prix de quelques pénitences supplémentaires. Pons Grimoard rattrapa son imprudence, on ne put l’accuser de relapse et il s’en tira, somme toute, à bon compte.

Un autre fait est également révélateur. Comme nous l’avons déjà dit, alors que les parfaits Aymeric du Collet, Sicard de Lunel et Guillaume de Caussade s’en retournaient à Somplessac après une tournée jusqu’à Parisot, sous la conduite de Guillaume Donnadieu d’Elves, ils furent interceptés par des chevaliers de Penne menés par un Français, en 1239. Or on les retrouve tous en liberté peu après. Nous ignorons les circonstances de cette remise en liberté, mais ne faut-il pas y voir la main du sénéchal Pons Grimoard ? Il est aussi important de remarquer qu’ils furent capturés hors du territoire de la seigneurie de Caussade.

Il ne faut pas non plus oublier une autre explication possible et complémentaire : l’argent. On sait en effet que Guillaume de Caussade avait dans Cahors, place financière, un agent, un certain Pierre Donnadieu “qui détenait un argent infini en dépôt des parfaits et des croyants“[13].

Mais l’inquisition sapait sûrement toutes ces solidarités et ses enquêtes finirent par resserrer le nœud coulant sur leurs victimes. En 1244, elle put capturer une prise de choix : le passeur et guide Guillaume Donnadieu d’Elves, au courant de tout. Et on sait qu’il se mit à table, il éventa les réseaux et les refuges des parfaits proscrits.

Il s’ensuivit sans nul doute des descentes de gens d’armes et il est difficile de dire, faute de document, ce qu’il advint des parfaits et de leurs réseaux. Le diacre du secteur, Guillaume de Caussade disparaît des sources. Fut-il attrapé ? Est-il parti se refugier en Lombardie ? On ne sait. Tout ce que l’on sait, c’est que son confrère, le diacre Sicard de Lunel fut capturé une décennie plus tard, en 1255. Sa minutieuse déposition dénonça 546 personne, on l’a vu. Cela a sans nul doute permis de mettre à mal le catharisme dans tout le Quercy. Toutefois, vingt ans après, il restait encore quelques chevaliers, bourgeois et paysans fidèles au catharisme qui protégeaient et hébergeaient l’un de ses derniers ministres, le parfait Bernard de Lagarrigue et son compagnon Raimond du Vaux. Mais cet ultime réseau alla certainement grossir, lui aussi à son tour, les sordides prisons de l’inquisition avec l’abjuration de Bernard de Lagarrigue vers 1280. Ensuite, on ne sait plus rien.

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Bibliographie

– Anne Brenon, “Le dernier des cathares, Pèire Authier”, Perrin 2006.

– Edmond Albe, “l’hérésie albigeoise et l’inquisition en Quercy”, Revue d’histoire de l’Église de France, 1910, pp. 271-293 et pp.412-428.

– Henri Gougaud “La Chanson de la croisade”, Le Livre de Poche, 1989.

– Jean Duvernoy, “L’histoire des cathares” tome II, Privat 1994.

– Jean Duvernoy, “L’inquisition en Quercy, le registre des pénitences de Pierre Cellan”, l’Hydre, 2001.

– Jean Duvernoy, “Enquête Bernard de Caux, Quercy-Toulousain” et “Registre de Pons de Parnac”

– Michel Roquebert L’épopée cathare”, les cinq tomes, Privat.

– Richard Bordes, “Cathares et vaudois en Périgord, Quercy et Agenais”, l’Hydre, 2005.

Notes :

[1] Confession de Bernarde Targuier, parfaite repentie, qui déposa devant Bernard de Caux en 1243.

[2] Après cet épisode, en 1264, l’évêque de Cahors demanda au pape l’autorisation de ne plus faire personnellement ses tournées pastorales dans son diocèse, tellement il était en butte à la hargne de ses “fidèles”.

[3] Bosquet proche d’un mas, piétiné par le bétail.

[4]Confession de Bernard Balat, prêtre en 1241. Registre des pénitences de Pierre Cellan, p 259.

[5] Le fait qu’un monastère catholique puisse abriter une parfaite et même être dirigé par elle, ne doit pas surprendre. La parfaite repentie, Arnaude de Lamothe, révèle à l’inquisition que pendant la répression, elle fut transférée dans le monastère de Linas en Quercy qui était entièrement composé de parfaites sous l’habit de religieuses catholiques. Le diacre Guiraud Abit venait d’ailleurs leur faire “l’apparelhament”.

[6] Pénitence infligée à Raimonde de Mazerac en 1241. Registre des pénitences de Pierre Cellan, p 257).

[7] Confession d’Arnaud Peyre de Montcuq en 1241. Registre des pénitences de Pierre Cellan, p115.

[8] Actuellement Belfort-de-Quercy qui se trouve à 6 kilomètres de Labastide-de-Penne, c’est-à-dire du Soulié médiéval.

[9]Déposition de Pons Grimoard en 1244, devant Bernard de Caux. Pons Grimoard ajoute que deux autres personnes était présentes à cette rencontre nocturne, mais il déclare ne plus se rappeler de qui il s’agissait.

[10] Confession d’En Gorses en 1241. Registre des pénitences de Pierre Cellan, p 257).

[11] Pierre Bès, Sicard et Jean de Roumégoux, Jean Barrau, Guillaume de Combelles, Astrugue de Restier et Pétrone Rolland.

[12] Précision donnée par Edmond Albe, dans son histoire de “l’inquisition en Quercy”, paru en 1910.

[13] Confession de Pierre Vildren en 1241. Registre des pénitences de Pierre Cellan, p 123) Déposition de Guillaume Donnadieu d’Elves.